CLAUDE BIGOTHIER



""Claude Bogothier professeur ez-bonnes lettres à Lyon, autheur du poëme intitulé Rapina seu Raporum encomium qui est la louange de la Bresse et des Bressans, imprimé à Lyon estoit bressan...""
(Samuel Guichenon)


D'après les dates de parution de l'ouvrage (1540), et les éléments qu'on y trouve (par exemple des allusions à Louis de Gorrevod, évêque de Maurienne), il est raisonnable de fixer la date de naissance de Claude Bigothier vers 1510.

Le petit volume publié en 1540 comprend une éloge de la rave, quelques dédicaces à des amis ou des personnages importants, et des pièces variées : Alectryomachia id est Gallorum certamen cum pompa scholasticorum Lugduni acta (relation des réjouissances à Lyon lors du passage des enfants royaux), Ad Divos omnes (prière aux saints), et Divo Nicolao Poean (prière à Saint Nicolas).

De l'auteur on ne connaît rien d'autre. Ni où il vécut, ni la date de sa disparition.



      



C'est la rave, don caché de la nature et des dieux, accordé par le sort comme aliment et aussi comme médicament à tous, mais surtout aux graves Savoyards ; puis c'est le peuple Ségusien répandu dans ses cités mémorables, puis ce sont les mérites de ces hommes éminents à cause de leurs hautes charges que je commence à chanter, entraîné par l'immense amour de ma patrie. Dieux paternels, qui favorisez ma patrie et ses villes, qui faites croître les raves chaque année sur leur sol, évoquez les chemins malaisés, et cette éreuse. Assistez-moi, Muses, et viens à mon appel, Apollon, à qui les anciens t'ont offert, heureux présent! les raves couleur de plomb, parce qu'elles t'adoucissent la goutte et les maux de pied, et donnent la blancheur au corps des nymphes.


La rave est un don aussi considérable que le fut autrefois la manne céleste. Je ne crois pas que les dieux se nourrisent d'un autre nectar, puisque le fondateur de la ville de Rome s'en régale au ciel, ainsi qu'en témoigne le poète Coculus...



Et en effet en automne et en hiver d'énormes raves poussent çà et là sous le brouillard et les froides gelées, et nous les voyons se complaire - chose admirable - aux rigueurs de l'hiver, pendant lequel meurent les céréales et toutes les plantes. La force de la nature et le pouvoir du destin qui nous est caché les fait pousser, elles qui ne sont soumises à aucune cruauté du ciel.



La rave géante découverte dans les environs de Belley.


De tous côtés, tous rivalisent pour arracher la rave de vive force ; l'un la prend, l'autre la tire, tous gémissent ; ils s'efforcent en vain, s'appliquent sans relâche à grands ccris ; les uns creusent la terre, un groupe épuisé se refait des forces, et aussitôt ils se remettent vivement à leur tâche et à leur rude labeur ; des coups répétés de leurs outils de bois sur la terre, ils creusent des trous et des galeries. Ensuite les hommes se soucient de tendre plus fortement leurs muscles, ils ébranlent la masse ; on transpire beaucoup ; haletants ils reprennent leur souffle : un désir d'aboutir les presse plus vivement dans leur labeur. Ils saisissent la rave dans un grand élan et peu à peu elle bouge ; une clameur s'élève, derechef ils se hâtent d'arracher la rave, enfin à grand peine elle apparaît dans les airs légers...



Si par hasard tu voulais connaître l'aspect et l'image de ceux dont la faim exécrable dévore les membres languissants, tu verrais une forme effroyable à voir et à décrire, semblable à un monstre - si grande est la pénurie des raves - qui ne montre rien d'humain, complètement anéantie. Il ne resterait au corps que la peau et les os ; plus de face ni de visage ; la pâleur et la maigreur avaient ravagé les yeux creusés, les joues, les lèvres affreuses de pourriture, les dents encrassées de tartre, la bouche, les mains, la gorge avide, tout le reste du corps, les membres dévorés. Certes je me souviens d'en avoir trouvé qui, penchés en avant à la manière des bêtes, arrachaient à pleines dents les heerbes empestées et rongeaient obstinément des os r epoussants dans la fange et les auges des porcs ; set si la pitance est trop chiche, ils se rassasient (quelle misère !) de l'air impalpable.



Comme les raves sont d'habitude d'une blancheur éclatante, ou rouges pour certaines, elles colorent ainsi les douces jeunes filles d'une blancheur de neige, et en même temps inondent leur visage d'une couleur de pourpre ; de la même façon que les lièvres blanchissent dans les montagnes immaculées, eux qui se nourrissent de neige, elles sont transformées par leur nourriture. Les raves produisent et rentretiennent une chaire tendre eet blanche sous la peau douce, distribuée dans les membres délicats, membres couleur de marbre : ainsi voyons-nous, pendant la nuit, le visage de la déesse virginale, quand elle resplendit, éclatante de blancheur dans le ciel serein, ainsi Diane, qui a dénoué sa ceinture, dévoile dans les forêts ses cuisses, sa gorge, ses bras et ses jambes semblables à l'ivoire...



Et enfin les enfants ? Chaque fois qu'ils prennent leur petit déjeuner ou leur déjeuner, quand ils dînent ou font une collation, ils mangent, bien sûr, toujours des raves, ou bouillies ou crues, souvent grillées, même s'ils se noircissent pour commencer les lèvres et les mains. Alors, rassasiés par celles-ci, comme par le fruit du lotus qui apaise et apporte l'oubli, libres de tout souci ils dévorent leur nourriture, rient aux éclats, se démènent, font rire les autres, ne cessent de danser, et l'estomac bien rempli manifestent bruyamment sa satisfaction.






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