ALFRED BLANCHET



"Né à Ordonnaz en 1881, Alfred Blanchet est l'aîné d'une famille de six enfants, trois garçons et trois filles. Les parents étaient instituteurs. Alfred fut élevé avec ses frères par sa grand-mère, elle aussi institutrice à Grièges. L'un des frères fut reçu à l'Ecole Navale, l'autre fut agrégé de philosophie. Tous deux moururent prématurément.

L'enfance d'Alfred Blanchet se déroulé donc à Grièges, au bord de la Saône : il y fit ses études primaires, puis fréquenta le collège Lamartine à Belley, le lycée de Bourg et le lycée Ampère à Lyon où il prépara l'Ecole Polytechnique. Il y fut admis en 1902. A sa sortie, il choisit la carrière militaire, et de 1906 à 1914 il fut officier d'artillerie à Madagascar, à Toulon et en Indochine. Il se maria peu avant la guerre. Après celle-ci, au cours de laquelle il se comporta glorieusement à Verdun, sur la Somme et à Saint-Quentin, il se fit mettre en disponibilité pour se consacrer aux mathématiques et à la littérature. Il fut chargé, pendant de nombreuses années, d'un cours préparatoire à l'Ecole Centrale au Collège Stanislas à Paris. Il mourrut en 1935, victime d'un accident de montagne dans le Dauphiné."

(in Paul Guichard : "Histoire Littéraire des Pays de l'Ain", tome 3, éditions Bonavitacola)


L'oeuvre littéraire d'Alfred Blanchet est double : poétique et romanesque.

- De Profundis clamavi (1903)
- Pipeaux Bressans (1914)
- Ciels d'Asie (1936, publication après sa mort)
- Lamento (1937, reprise de "De Profundis clamavi")

- Nicole et Ramsés (1920)
- Ma Fille est si bien élevée (1923)
- De quel amour blessé (1927)
- L'Homme de la jungle (1929)
- Les Enterrés vivants
- César Donadieu épicier.



      



LE CRIQUET

Recordman du saut en hauteur,
Champion de France et d'Algérie,
Regardez-le, dans la prairie,
Etonnant troupeaux et pasteur !

La chèvre et le bouc amateur
L'applaudissent avec furie,
Recordman du saut en hauteur,
Champion de France et d'Algérie...

Jusqu'au jour où tel spectateur,
- Impardonnable étourderie ! -
Le prenant pour l'herbe fleurie,
Avale notre fin sauteur,
Recordman du saut en hauteur.


("Pipeaux Bressans")




MON ECOLE

Bourdonnante, parmi les prés et les jardins,
Oubliant la poussière et l'ennui des vieux livres,
L'école du village écoutait, ces matins,
Dans nos rires fuser l'allégresse de vivre.
C'était comme uune ruche au milieu d'un verger.
Quelquefois on voyait, par les fenêtres ouvertes
Sur les treilles en fleurs, un papillon léger
S'abattre, titubant, parmi les feuilles vertes,
Comme si les parfums du jour l'étourdissaient !
Alors, interrompant la leçon de grammaire,
"Est-ce au jardin, voyons, qu'on apprend le français ?
Disait le maître avec sa grosse voix sévère :
"Vous copierez trois fois le verbe irrégulier :
Rire, riant, je ris, je rirai, que je rie..."
Hélas ! même le livre à nos coeurs d'écoliers
Disait que tout est rire et que l'oiseau pépie
Et que la fleur parfume et qque, dans les buissons,
Convoquant ces joours-là les ooiseaux et les plantes,
Monsieur Printemps, en habit clair, dit des chansons;
Et le maître lui-même, à ces heures troublantes,
S'oubliait quelquefois à regarder tourner,
Tout là-haut dans le ciel, la ronde des nuages
Aux pieds du soleil-roi venant se prosterner...
Mais quand il devinait sur nos jeunes visages
L'étonnement moqueur prêt à s'épanouir,
Bien vite il reprenait son attitude lasse
Et ferme cependant, qui disait d'obéir,
D'être bons, de cueillir les fruits du jour qui passe...
Lors, ses rides semblaient, à son front dégarni,
Après ce fugitif envol au bleu des rêves,
Garder le plissement d'un regret infini,
Et nous sentions tomber, nous, ses petits élèves,
Comme un grand voile noir et triste au firmament,
Et sous l'auvent pointu, tout tintant d'heures brèves,
Les martinets joyeux se taisaient un moment...


("Pipeaux Bressans")




LA GRÊLE

Sa mitraille crépitante,
Tombant du ciel en courroux,
Hache les blés blonds et roux
De la plaine palpitante.

Le tocsin qui sonne tente,
En vain, d'éloigner de nous
Sa mitraille crépitante
Tombant du ciel en courroux.

Dans la ferme haletante
Où sont tirés les verroux,
Des femmes sont à genoux ;
Vainement ! l'orage augmente
Sa mitraille crépitante...


("Pipeaux Bressans")




LES POULARDES

On les voit picorer en foule
Les grains blonds, dans la basse-cour,
Sous les yeux de désir que roule
Chantecler qui leur fait la cour.
Elles vont, viennent et caquètent,
Folles d'amour et de grand air ;
Elles ont jeunes et coquettes,
Et leur sultant a si grand air !

Mais, un jour, on prend les plus belles,
On les enferme à double tour
Loin des paillers et des javelles ;
Adieu l'air pur, adieu l'amour !
Il faut la paix et l'ombre noire
Aux poulardes de mon pays
Pour ne pas faillir à leur gloire
Sur les grands marchés envahis.

Elles s'en rendent très bien compte ;
Et, prenant leur sort vaillamment,
Sans écouter ce que raconte
Le coq, leur infidèle amant,
A son sérail, avec cynisme,
Elles vont, se capitonnant
De graisse blanche et d'égoïsme,
De jour en jour, à l'avenant.

Pour être juste, la fermière
Les encourage en ce devoir ;
Dans leur retriate, sanas lumière,
Elle vient, très souvent, les voir ;
Elle leur donne la pâtée,
Sur ses genoux, si doucement
QUe leur gorge ronde empâtée
En glousse d'attendrissement !

Aussi quand vient la Saint-Nicaise
Et que, luisantes d'embonpoint,
Au connaisseur qui les soupèse
Elles paraissent bien à point,
Tendrement, on les emmaillote
Dans des paniers remplis de foin
Qu'on chauffe avec une bouillotte
Si la ville est un peu trop loin !

Car c'est au marché de la ville
Qu'on les emmène, en chars à bancs ;
Le gros fermier bressan jubile
A regarder leurs ventres blancs ;
Et, sans même daigner entendre
Le triste et claironnant adieu
Du coq, malgré tout resté tendre,
Nos poulardes vont au chef-lieu !

AUx grands concours de Bourg-en-Bresse,
Elles ont tous les premiers prix ;
A voir leurs corps bardés de graisse
On n'en est pas du tout surpris !
- Mais que poularde se souvienne,
Parmi les lauriers du succès,
QUe sur la roche Tarpéienne
Le Capitole avait succès !

Car, lorsqu'elle est montée au faîte
Des grandeurs et qu'au jugement
D'un ministrable elle est parfaite,
De nuit et clandesinement,
On la dépêche dans la glace
Vers les pays les plus lointains,
Pour aller prendre enfin la place
D'honneur qu'on lui garde aux festins !


("Pipeaux Bressans")







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