JEAN ANTHELME BRILLAT-SAVARIN



Ainé de huit enfants, Jean Anthelme Brillat passe sa jeunesse dans le Bugey, au cœur de la Bresse, où il prit goût à la cuisine. Sa mère était un cordon bleu accompli. Une de ses tantes en fait son légataire universel à condition qu'il porte son nom. Il devient donc J.A. Brillat-Savarin.

Dans sa famille on est gens de robe de père en fils, il fera donc ses études de droit à Dijon, complétées par un peu de médecine et de chimie. Il devient avocat au tribunal civil de Belley et est élu député du Tiers Etat à l'Assemblée Constituante. Il se fera remarquer à la tribune par un discours contre l'abolition de la peine de mort. Son royalisme est connu, le tribunal révolutionnaire l'accuse de "modérandisme" et lance un mandat d'amener contre lui.

Il va donc s'exiler en Suisse, puis en Hollande d'où il s'embarque pour l'Amérique. Il va y rester deux ans environ, vivant de leçons de français et d'un emploi de violon dans l'orchestre du John Street Theater de New York. Il y découvre le welsh rarebit (dindon) et le korn beef (boeuf mi-sel) et enseigne à un chef français de Boston l'art des œufs brouillés.

Il obtient l'autorisation de regagner la France en 1796 mais il est dépouillé de ses biens. En 1800 il est nommé conseiller à la cour de cassation, fonction qu'il occupera jusqu'à sa mort.
Célibataire, il s'intéresse à l'archéologie, l'astronomie, la chimie et bien sur la gastronomie.
Il apprécie les bons restaurants, reçoit beaucoup chez lui à Paris et cuisine lui même quelques spécialités comme l'omelette au thon et le filet de boeuf aux truffes. Il trouve la mort à l'issue d'une messe célébrée à la mémoire de Louis XVI dans la basilique Saint-Denis au cours de laquelle il avait pris froid.

Deux mois avant son décès, paraissait en librairie, sans nom d'auteur, le livre qui allait le rendre célèbre : "Physiologie du goût ou méditations de gastronomie transcendante, ouvrage théorique, historique et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes parisiens par un professeur, membre de plusieurs sociétés littéraires et savantes".
Le livre connut un succès immédiat, suscita l'enthousiasme de Balzac mais aussi la jalousie de certains comme Carême et le mépris de Baudelaire. Brillat-Savarin voulait faire de l'art culinaire une véritable science d'où un certain pédantisme dans les explications. Il se livre à une analyse très poussée de la mécanique du goût. Il discourt sur la maigreur et l'obésité, sur l'influence de la diète sur le repos, le jeûne, l'épuisement et la mort.

Il traite son sujet comme une science exacte, en remontant des effets aux causes.
Mais il est aussi un conteur aux innombrables anecdotes, un défenseur de la gourmandise, au style élégant et non dépourvu d'humour. Les meilleures pages de la physiologie du goût concernent les observations de Brillat-Savarin sur certains aliments et préparations : le pot-au-feu et le bouilli, la volaille et le gibier, les truffes, le sucre, le café et le chocolat.

Son nom a été donné à deux nombreux apprêts et à une garniture faite d'un salpicon de foie gras et de truffes. Celui-ci peut être dressé dans des tartelettes ou des croustades en pommes duchesse pour accompagner certains gibiers ou des noisettes d'agneau, ou bien utilisé pour fourrer une omelette.
Une autre garniture de ce nom, à base de pointes d'asperge, accompagne les œufs mollets.

(Renseignements venant en partie du site : http://b-simon.ifrance.com/b-simon/cel4.htm )




      



Récit de Brillat-Savarin sur les événements de Paris, les 12 à 15 juillet 1789.

Les événemens qui ont suivi le départ de M. Necker ont excité partout la curiosité et l'intérêt, soit par leur singularité, soit par leur influence sur les affaires actuelles. Ainsi j'ai cru faire quelque chose qui vous seroit agréable, en vous instruisant, par la voie de l'impression, des faits dont j'ai été moi-même le témoin, ou dont je me suis procuré une connoissance exacte.

Le samedi, 11 juillet, M. Necker reçut l'ordre de quitter le royaume ; il partit de Versailles à l'entrée de la nuit, et mit autant de soin à se dérober aux regrets des François, que d'autres en ont mis à fuir les malédictions qui suivirent quelquefois les ministres disgraciés.
La nouvelle de son départ ne fut publique à Paris que le dimanche dans la matinée, et la consternation fur d'autant plus générale que le sort des habitans de cette grande ville dépend directement de l'ordre dans les finances, parce que la plupart des fortunes consistent en placemens dans les fonds publics.
Sur les quatre heures, une foule partie du Palais-Royal, alla faire fermer tous les spectacles, ce qui ne se fait guères que dans un deuil national. Les portraits de Mgr le duc d'Orléans et de M. Necker furent portés en triomphe dans les principales rues. Paris se trouvoit pour lors environné de troupes. Il y avoit un camp au Champ de Mars, un à Sèvre, des troupes à Saint-Denis, aux Champs-Elisées, et dans tous les lieux voisins. L'Assemblée nationale avoit déjà témoigné au Roi son désir de voir cesser des précautions si extraordinaires.
Sur les huit heures du soir, des hussards et des dragons se rendirent sur la place Louis XV par le Pont-Royal ; le régiment Royal-Cravatte, dont le prince de Lambesc est colonel, et un autre régiment suisse s'y rendirent aussi.
Le peuple s'attroupa ; et, pour le dissiper, le prince, à la tête de son régiment, pénétra jusques dans les Tuileries ; il frappa lui-même un vieillard d'un coup de sabre ; un autre fut foulé aux pieds. Le régiment eut ordre de faire feu ; mais il est certain qu'il tira en l'air et que personne ne fut blessé de cette mousquetade.
Ce fut là le signal de l'émeute. La foule quitta en tumulte la promenade ; on cria "aux armes !" et, dès les dix heures du soir on rencontroit des troupes avec des flambeaux et quelques armes. Il y eut dans la nuit une escarmouche entre les gardes-françoises et les dragons, où plusieurs de ces derniers furent tués.

Cependant l'émotion alloit toujours en croissant, et le lundi matin, on ne voyoit dans les rues que des citoyens ou armés de tout ce qu'ils avoient jugé propre à cet effet, ou cherchant des armes. Dans la journée, on enleva tout ce qui se trouvoit chez les armuriers et les fourbisseurs, et déjà quelques maisons appartenant aux ennemis du peuple furent attaquées et pillées. Mais il est vrai de dire que ce ne furent point les citoyens connus et propriétaires qui occasionnèrent ces désordres ; ils furent commis par la populace et par cette classe d'hommes qui, n'ayant rien à perdre, est toujours la première à prendre part aux révolutions. De pareilles nouvelles ne pouvoient rendre que très orageuse la séance de l'Assemblée nationale. Il y fut fait différentes motions tendantes au rappel de M. Necker et à l'éloignement des ennemis de l'Etat. Enfin il fut résolu qu'on feroit deux députations, l'une au Roi, pour demander le rappel des ministres qui, ainsi que M. Necker, avoient encouru sa disgrâce, l'autre vers les Parisiens, composée de soixante députés qui devoient se mettre entre les combattants et chercher même, au péril de leur vie, à ramener la paix. Cette dernière députation étoit subordonnée à l'agrément que le Roi y donneroit.
Quelque dangereuse que fût cette commission, elle fut demandée par tous comme un honneur et une grâce ; mais tant de zèle fut inutile pour ce moment, parce que le Roi refusa de rien changer aux arrangements qu'il avoit pris et témoigna qu'il croyoit que la présence des députés seroit inutile à Paris.

Mais l'Assemblée nationale prit un second arrêté, par lequel il fut décrété que M. Necker et les autres ministres, compagnons de la même disgrâce, emportoient ses estimes et ses regrets ; que les ministres restans seroient responsables des suites des conseils qu'ils donneroient au Roi ; et que la Nation ne refusant pas de sanctionner la dette publique, personne ne pouvoit faire banqueroute en son nom. Il fut aussi arrêté que l'Assemblée seroit toujours séante pour être prête à tout événement ; et en effet la séance, commencée le lundi matin (13 juillet), dura sans interruption, nuit et jour, jusqu'au mercredi à midi.
Cet arrêté avoit pour but d'effrayer les ennemis du peuple, de faire renaître la confiance alarmée, et de prévenir le discrédit des effets publics.

Tandis que ces choses se passoient à Versailles, les électeurs de Paris s'étoient rassemblés à l'Hôtel de Ville, et il fut résolu d'armer une milice bourgeoise composée de citoyens connus et domiciliés, pour résister d'une part à la force et, de l'autre, pour faire cesser l'insurrection des premières troupes parmi lesquelles il s'étoit glissé beaucoup de gens suspects. Le mardi 14, plus de cinquante mille bourgeois furent assemblés ; le canon et les armes des Invalides furent enlevés, et dans douze heures Paris eut une armées, du canon et des munitions de guerre.

A midi, la Bastille fur investie ; M. de Launay, qui en était gouverneur, demanda à parlementer ; il laissa entrer sous cette espérance plus de deux cents citoyens dans les premières cours, et ayant ensuite fait lever le premier pont-levis, il ordonna sur eux plusieurs décharges d'artillerie, dont plus de soixante personnes furent tuées.
Cette perfidie, presque sans exemple, porta la fureur du peuple au dernier épisode. On monta sur les toits des maisons qui dominent la forteresse pour fusiller les canonniers ; on perça le mur qui environne la première enceinte, un grenadier y pénétra avec un bourgeois ; M. de Launay fut surpris et fait prisonnier. Alors le canon de la Bastille casse ; on rompit les portes, et on s'en rendit maître ; de sorte que ce fort qui eût pu tenir plusieurs mois contre une armée, fut emporté en trois heures par des citoyens dont la plupart avoient ce jour-là manié des armes pour la première fois.
M. de Launay devait s'attendre à de justes représailles ; aussi fut-il massacré par le peuple ; sa tête ainsi que celle d'un autre officier de la Bastille, fut coupée et portée sur une lance. Ils eurent bientôt un troisième compagnon d'infortune ; M. de Flesselles, prévôt des marchands, étoit déjà soupçonné et désigné par le cri du public ; des papiers trouvés sur M. de Launay servirent à la conviction : il fut pendu à la perche d'un réverbère dans la place de Grève, et sa tête, jointe aux deux autres, donna aux Parisiens un spectacle également effrayant et nouveau.

De pareils événements étoient bien faits pour attirer l'attention de l'Assemblée nationale ; à onze heure du soir une nouvelle députation fut chargée de porter la vérité aux pieds du trône, et d'instruire le Roi du véritable état des choses qu'on lui laissoit ignorer.
Cette démarche eut l'effet qu'on en devoit attendre. Le mercredi 15, le Monarque se fit annoncer à la salle nationale. Il y vint sans l'appareil de la royauté, comme un père au milieu de ses enfans. Il annonça l'éloignement des troupes, permit, invita même l'Assemblée à en porter la nouvelle à Paris, et arracha à tous des larmes par la bonté, la franchise et la loyauté dont son discours fut empreint. Au sortir de la salle, il fut reconduit par l'Assemblée entière, et retourna au château, à pied, au milieu des bénédictions et des acclamations d'une foule immense, mille fois plus grand et plus heureux en cet équipage, environné et pressé par son peuple, qu'au milieu de cet appareil qui n'en impose qu'aux yeux et ne fait rien pour le bonheur.
Les députés qui, le lundi, devoient aller à Paris, se hâtèrent d'y porter cette heureuse nouvelle ; Ils y furent reçus comme les sauveurs de la nation. Les cris de "Vive le Roi, Vive l'Assemblée nationale", répétés par des milliers de voix, ne cessèrent point depuis la barrière des Sèvres jusque dans les salles de l'Hôtel de Ville. Les places, les quais et toutes les rues où ils passèrent, suffisoient à peine pour contenir la multitude.
Ils portèrent partout des paroles de paix, et ils voyoient avec plaisir la fermentation se calmer par degrés. MM. Moreau de Saint-Méry, la Fayette, Lally-Tollendal prirent la parole à l'Hôtel de Ville, et furent vivement applaudis.
Au même endroit, M. de la Fayette fut nommé colonel-général de la milice bourgeoise, et M. Bailly, Maire de Paris, titre qui fut substitué à celui de Prévôt des Marchands, qui est resté enseveli avec M. de Flesselles.
Tout le monde sait que M. de la Fayette s'est distingué dans les guerres d'Amérique, et M. Bailly dans la place de président de l'Assemblée nationale. Ainsi le premier usage que les Parisiens firent de la liberté, fut d'en récompenser les défenseurs.



Philinte

Charmant Amour, divinité trop chère,
Ah ! Dans mon cœur demeure encore un jour !
Songe enchanteur, ravissante chimère,
Voudrais-tu donc me quitter sans retour ?

T'ai-je jamais préféré la fortune ?
Pour tes autels, ai-je épargné les fleurs ?
Oh ! Laisse-moi t'en offrir encore une !
Refuses-tu cette grâce à mes pleurs ?

Philinte allait en dire davantage,
Mais il se tut, car l'Amour s'envola.
Il s'enrichit, fut puissant, devint sage…
De n'aimer plus rien ne le consola.



LES APHORISMES

I

L'Univers n'est rien que par la vie, et tout ce qui vit se nourrit.

II

Les animaux se repaissent ;
l'homme mange ;
l'homme d'esprit seul sait manger.

III

La destinée des nations dépend de la manière
dont elles se nourrissent.

IV

Dis-moi ce que tu manges,
je te dirai ce que tu es.

V

Le Créateur, en obligeant l'homme à manger pour vivre,
l'y invite par l'appétit,
et l'en récompense par le plaisir.

VI

La gourmandise est un acte de notre jugement,
par lequel nous accordons la préférence aux choses
qui sont agréables au goût
sur celles qui n'ont pas cette qualité.

VII

Le plaisir de la table est de tous les âges,
de toutes les conditions,
de tous les pays
et de tous les jours ;
il peut s'associer à tous les autres plaisirs,
et reste le dernier pour nous consoler de leur perte.

VIII

La table est le seul endroit
où l'on ne s'ennuie
jamais
pendant la première heure.

IX

La découverte d'un mets nouveau
fait plus pour le bonheur
du genre humain
que la découverte d'une étoile.

X

Ceux qui s'indigèrent
ou qui s'enivrent
ne savent ni boire ni manger.

XI

L'ordre des comestibles est
des plus substantiels
aux plus légers.

XII

L'ordre des boissons
est des plus tempérées
aux plus fumeuses
et aux plus parfumées.

XIII

Prétendre qu'il ne faut pas changer de vins est une hérésie ;
la langue se sature ;
et, après le troisième verre,
le meilleur vin n'éveille
qu'une sensation obtuse.

XIV

Un dessert sans fromage est
une belle à qui il manque un œil.

XV

On devient cuisinier,
mais on naît rôtisseur.

XVI

La qualité la plus indispensable du cuisinier est l'exactitude :
elle doit être aussi celle de l'invité.

XVII

Attendre trop longtemps
un convive retardataire
est un manque d'égards
pour tous ceux qui sont présents.

XVIII

Celui qui reçoit ses amis et ne donne aucun soin personnel
au repas qui leur est préparé,
n'est pas digne d'avoir des amis.

XIX

La maîtresse de la maison
doit toujours s'assurer
que le café est excellent ;
et le maître,
que les liqueurs sont de premier choix.

XX

Convier quelqu'un, c'est se charger de son bonheur
pendant tout le temps qu'il est sous notre toit.




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