CHARLES JARRIN



Charles Jarrin voit le jour à Bourg en Bresse le 31 décembre 1813. Dès son plus jeune âge, il a une véritable passion pour la chose écrite et la lecture. En 1830, il est envoyé à Paris pour parfaire son éducation. Lorsqu'il revient en Bresse, il passe un an au Grand Séminaire de Brou, d'où il repart la foi très ébranlée.
Il s'engage au Courrier de l'Ain, où il fera paraître une bonne centaine d'articles en 40 ans (1842-1882). Il écrit aussi dans les Annales de la Société d'Emulation, dont il devient secrétaire en 1847.

La production de Charles Jarrin est immense. Son ouvrage principal, "La Bresse et le Bugey, leur place dans l'Histoire", paraît à partir de 1848, et est entouré de nombreux fascicules annexes pour explorer tel ou tel sujet.

Il fut aussi un poète fécond, sur plus de cinquante années. L'essentiel de sa production occupe un ouvrage de 532 pages, "Poèmes de Bresse et de Bugey", malheureusement tiré seulement à 200 exemplaires. Car Jarrin faisait tirer ses ouvrages à très peu d'exemplaires, réservés à ses nombreuses connaissances. On trouve de tout dans cet ouvrage : des récits légendaires, des thèmes agrestes, des fables et même des pièces lyriques.

Profondément républicain, Jarrin est de tous les combats contre les formes diverses de l'injustice et de la servitude, comme son combat contre l'obscurantisme religieux.
Il meurt le 15 février 1900.



      



LA "METHODE JARRIN"

L'archiviste recueille les documents, les élucide et les édite. L'annaliste tire les faits de cette gangue, les classe dans l'ordre chronologique. Quant à l'historien, sa tâche ressemble assez à celle de certains naturalistes occupés à reconstruire les espèces perdues. Ils visitent les musées où on a collectionné les débris de l'ancêtre (ou du doyen) de nos ruminants. Si les collectionneurs ont déjà essayé un classement soit partiel, soit total du squelette, ils tiennent compte de ce travail fait, et en profitent plus ou moins, selon qu'ils le jugent définitif ou non. si quelques fragments essentiels ont échappé à l'attention, ils les reprennent et les mettent en place. La charpente de la bête est ainsi reconstruite. A ce premier labeur sans doute méritoire, mais qu'une science anatomique ordinaire et une méthode exacte rendent facile, succède un autre travail aventureux infiniment. Il faut recréer, asns autre aide que de délicates inductions, les muscles frémissants qui recouvraient ces os arides. Il faut mettre des yeux vivants dans ces orbites mornes, tirer un mugissement de cette poitrine caverneuse. Il faut que le pré tremble sous ce lourd sabot ; que la source, en le revoyant, reconnaisse le Bos primigenius. Il faut que la grande bête revive et, qui plus est, revoie autour d'elle le milieu dans lequel elle a vécu.

La comparaison manquerait grandement de modestie si j'avais songé là à ce que j'ai fait : j'ai parlé de ce qu'il aurait fallu faire. Il est rare de faire ce qu'il faut, d'exécuter ce qu'on projette, de réussir même à demi. Ce qui est commun, hélas ! c'est d'oublier son plan, de le surcharger ici ou là ; de s'apercevoir chemin faisant qu'on a perdu de vue le but, manqué la voie ou la vie.

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Il y a eu quelque intérêt pour moi à suivre nos annales arides, à démêler, constater et mettre en relief les faits un peu considérables à retrouver leurs causes parfois ou leurs rapports entre eux, ou leurs liens avec l'histoire de la race dont nous sommes ; à voir comment, dans ce grand mécanisme qui est la France, ce petit rouage qui est la Bresse fonctionnait, à quelles impulsions successives nous avons obéi ; quelle activité, quelle capacité d'action ou de réaction nous avions en propre - pourquoi, comment, par quelle série d'incidents, par quelles nécessités, après avoir comme les autres provinces de la Gaule cherché et trouvé, à l'époque féodale, une autonomie apparente, nous avons été ramenés à la grande patrie.

Outre cet intérêt tout provincial, notre histoire en a un autre. Un de nos principaux historiens me disait pour m'encourager dans ma tentative : les histoires locales servent de contr'épreuve à l'histoire générale. Je n'ai compris cette vue infiniment juste qu'à l'oeuvre.

Il y a un règne qui a jeté un grand éclat, un siècle qui semble fécond entre tous. Sous cet éclat apparent, malgré cette fécondité incontestable, la décadence de l'institution monarchique est flagrante et la misère des populations grande. Qui nous l'apprend ? Les histoires locales.

Où verrez-vous bien toutes les misères et toutes les laideurs du régime féodal ? Est-ce dans l'histoire générale un peu séduite et pipée, malgré elle, par quelques grandes figures vraiment chevaleresques ou vraiment religieuses, par des entreprises grandioses comme les Croisades ? Non. C'est dans l'histoire locale.

Celle-ci est une muse pédestre qui voit de près le petit côté des grandes choses. Elle raconte, non pas tant les grands jours que tous les jours du Moyen-Âge ; non les scènes épiques, mais ce que coûtent les scènes épiques aux petites gens ; non les héros, elle est payée pour n'y pas croire, mais les personnages médiocres, en tout temps les plus nombreux de beaucoup ; non le roman, mais la vie vraie - toute la moitié humble et triviale des choses humaines, res angusta domi ; ménage, pot-au-feu si vous voulez ; et affaires, et tracas, et habitudes domestiques.

N'attendez donc ici rien de bien sublime : Vous êtes plus près du vrai qu'ailleurs
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Quoiqu'on ait dit, le vrai n'est point aimable ; il est souvent triste, plutôt mesquin. Mais l'histoire ne sert, sa leçon ne profite qu'autant qu'elle est vraie.


(in "La Bresse et le Bugey, leur place dans l'Histoire", tome 1, préliminaires)



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