Louis XVI aux Français
Après l'horrible journée du 6 octobre 1789
Peuple trop cher encore à mon cœur paternel,
Peuple jadis si bon, maintenant si cruel,
De l'abîme effroyable où tu m'as fait descendre
Puisse enfin jusqu'à toi ma voix se faire entendre !
Lorsque pour ton bonheur j'assemblais mes Etats,
J'étais loin de penser que ton audace extrême,
Flétrissant sur mon front l'éclat du diadème,
Oserait m'arracher mon sceptre et mes soldats !
En es-tu plus heureux ? Et quel orgueil impie
Renverse, anéantit mon pouvoir respecté,
Commet tous les forfaits au nom de la patrie,
Et suspend sur ma tête un fer ensanglanté ?
Sous un appât trompeur on te perd, on t'égare ;
Tu vas de crime en crime assurer ton malheur ;
Les titres les plus saints excitent ta fureur ;
J'en frémis !… Le Français est devenu barbare.
Mes plus dignes sujets massacrés par tes mains
Sont tombés à mes pieds sans vouloir se défendre ;
J'ai vu leur sang couler, j'ai vu leurs assassins ;
Et dans mon âme en vain leurs cris se font entendre !
Je ne puis les venger !… Un destin rigoureux,
Au sein de l'anarchie, enchaîne ma justice ;
Je signe en frémissant des décrets odieux ;
Et de ma chute enfin je parais le complice.
Hélas ! pour t'épargner, j'oubliai d'être roi ;
Aussitôt, peuple ingrat, ta valeur m'abandonne;
Je t'ai sacrifié ma grandeur, ma couronne ;
Tu m'as trahi, perdu, quand j'ai tout fait pour toi.
D'un homme ambitieux le crédit arbitraire
Ne parut occupé qu'à tromper ma raison ;
Il calcula mes maux, indiqua ma prison
Et devint à ce prix l'idole du vulgaire.
C'est lui qui fit régner ce perfide sénat,
L'effroi du genre humain, l'horreur de la nature,
Le centre des complots, l'appui de l'imposture,
Le mobile secret du plus noir attentat.
Ah ! pour combler tes vœux, s'il ne faut que ma vie,
Tigres, portez vos coups !… Que la reine et mon fils
Echappent aux poignards des nombreux ennemis,
Dont l'empire insultant dissout la monarchie !
Français, reviens à moi !… Prêt à tout oublier,
Je trouve dans mon cœur la pardon de ton crime.
La gloire et la vertu ne peuvent s'allier
Qu'au trône des Bourbons, qu'à ton roi légitime.
Des monstres, enhardis par ma seule bonté,
Ont corrompu tes goûts, changé ton caractère ;
Qui pourrait t'expliquer cet effrayant mystère
Me rendrait ton amour et ta fidélité.
Si pour longtemps encor ta sombre frénésie,
De tes nouveaux tyrans seconde les desseins,
Tu ne peux échapper aux plus affreux destins,
Et tu cours à ta perte ainsi qu'à l'infamie.
Après avoir enfreint la orale et les lois,
Dépouillé les autels, ensanglanté la terre,
N'espère point jouir de tes sanglants exploits…
Le ciel pour les méchants réserve son tonnerre ;
L'univers en courroux punira tant d'horreurs ;
Des peuples indignés tu seras la conquête ;
Presse-toi d'éloigner, de calmer la tempête ;
Un seul instant de plus peut combler tes malheurs.
Déjà mille fléaux redoublent tes alarmes ;
Quels tableaux déchirants ! Je sens couler mes larmes ;
Pénétré de tes maux, digne d'être ton roi,
Le fils du bon Henri ne pleure que sur toi.
("Recueil de poésies fugitives, Tome 1, p9)
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