Gabriel VICAIRE

Le Figaro écrit à son propos ( au moment de sa disparition, en 1900) : « Gabriel Vicaire, que quelques esprits mal renseignés, du vivant de ce tendre et gaulois poète, ont feint de prendre pour un simple poète de clocher, vient de mourir, après une longue et cruelle maladie, dans une maison de santé du parc Montsouris. Gabriel Vicaire, né à Belfort (Haut-Rhin) en 1848, où son père était receveur de l'enregistrement, passa son enfance en Bresse et dans le Bugey où il fut reçu avocat. Cet adorable (souvent admirable) poète, à la fois primitif et fin de siècle, entra dans la vie littéraire avec un volume dont le succès fut tel qu'il devint presque nuisible à l'auteur. Vicaire fut désormais, pour tous, le poète des émaux bressansc...s. Vicaire est mort entouré des soins de son cousin Georges Vicaire, le directeur du Bullein hibliographique, et du docteur Comart, tous deux admirables de dévouement. Les obsèques de Gabriel Vicaire ont eu lieu à Saint-Jacques du Haut-Pas. La famille a emporté pieusement la dépouille du poète dans la Bresse, vers ce cimetière d'Ambérieu qu'il a si délicieusement rendu populaire ».

Louis-Gabriel-Charles Vicaire voit le jour à Belfort, le 25 janvier 1848.
Son père y était Receveur de l'enregistrement et des Domaines. Mais la famille était originaire d'Ambérieu-en-Bugey, installée là depuis deux siècles. GABRIEL Vicaire fait ses études au lycée de Bourg en Bresse, de 1860 à 1864. Il est reçu bachelier à Lyon en 1865. La famille est alors installée à Trévoux.

Sa carrière littéraire commence en 1868, par des vers dans "Le Courrier de l'Ain", ou la "Revue de la Poésie". Interrompue par la guerre de 1870, elle reprendra par la suite avec tout le bonheur que l'on sait. Son premier livre sera destiné aux enfants des écoles : "Le Livre de la Patrie".

Après une vie riche en productions littéraires, Gabriel Vicaire s'éteint à Paris le 23 septembre 1900, laissant à cousin Georges Vicaire le soin de regrouper et faire paraître des œuvres posthumes.

- Le Livre de la Patrie (1882, réédité en 1883, 84, 85, 86 et 88)
- Emaux Bressans (1884)
- Les Déliquescences d'Adoré Floupette (1885), parodie des oeuvres de Verlaine, Mallarmé et Moréas, et qui fit scandale (écrit avec Henri Beauclair).
- Miracle de Saint Nicolas (1888)
- L'Heure Enchantée (1890)
- Fleurs d'Avril (en collaboration avec Jules Truffier, 1890)
- A la Bonne Franquette (1892)
- Au Bois Joli (1894)
- La farce du Mari Refondu (en collaboration avec Jules Truffier, 1895)
- Le Clos des Fées (1897)
- Le Sortilège ou Mary Morgane (1897)

Oeuvres posthumes :

- Au Pays des Ajoncs, Avant le Soir (1901)
- Etudes sur la poésie populaire (1902)
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Une Fée

Ah ! C'est une fée !
Toute jeune encore
Ah ! C'est une fée !
De lune coiffée,
A sa robe verte,
Un papillon d'or !
A sa robe verte,
A peine entrouverte,
Elle va légère au son du hautbois,
Elle va légère comme une bergère,
Elle suit la ronde des dames des bois,
Elle suit la ronde qui va par le monde.




Les Rois Mages


À minuit sonnant passent les Rois Mages.
Ils viennent tous trois du pays lointain
Où fleurit la rose, où naît le matin.
Ils vont à Jésus rendre leurs hommages.
Ils vont saluer l'enfant printanier,
Son père Joseph, sa mère Marie.
Deux sont blancs, avec la barbe fleurie ;
Le troisième est noir comme un charbonnier.
Tandis qu'ils dormaient, la couronne en tête,
Un ange du ciel éblouit leurs yeux
- " Ô rois, levez-vous, le monde est joyeux ;
Ô rois, levez-vous, la terre est en fête.
" Allez promptement. Le Sauveur est né,
Parmi les pasteurs, au fond d'une crèche. "
La brise souffla, divinement fraîche,
Et tout le palais fut illuminé...
Ils vont. Leurs manteaux traînent sur la brande
Où filent gaiement par les prés mouillés.
Trente petits nains, de rouge habillés,
Sur des coussins verts portent leur offrande...
Voici qu'en pleins champs apparaît l'étable.
L'étoile s'arrête et la troupe aussi.
" Holà, font les Rois, entrons. C'est ici
Que nous trouverons l'enfant délectable... "
Le loquet tiré, sont entrés les Rois,
Ils ont, dès le seuil de la bergerie,
Salué Joseph, salué Marie,
Fait une risette au poupon, tous trois.
- " Fontaine d'amour où le ciel se mire,
Perle qui brillez au milieu du foin,
Pour vous adorer nous venons de loin,
Nous vous apportons l'encens et la myrrhe. "



Visite après boire

J'ai défoncé d'un coup de poing
Un caquillon de vieux gravelle.
Un rayon d'or en ma cervelle
S'est introduit, je suis à point.

Devant l'armoire aux confitures
Ma table s'est mise à valser ;
Mon lit demande à m'embrasser.
Seigneur Jésus, que d'aventures !

Et les bouteilles au long cou
Me contemplent d'un air si tendre !
Je ne me lasse pas d'entendre
Les cascades de mon coucou.

Ma foi, tant mieux ! Vive la joie !
Et je souris béatement.
Vous croiriez voir un garnement
Qui s'attable en face d'une oie.

D'un rayon d'or je suis féru.
Je ris, je ris ; j'en deviens bête.
Et voilà qu'en tournant la tête,
Quelque chose m'est apparu.

C'est comme un bateau qui chavire,
Comme un prunier qui va branlant,
C'est rose et bleu, c'est noir, c'est blanc,
Ça tourne, tourne, et vire, vire.

"Turlututu, chapeau pointu,
Rassure-toi, fait la donzelle.
Comme toi je suis demoiselle ;
Je n'en veux pas à ta vertu.

Je suis la muse peu sévère
Que nos vieux pères aimaient tant,
La muse qui laisse, en chantant,
Tomber des roses dans son verre...

Aujourd'hui, quel monde assommant !
Plus de jeunesse ! on parle en prose.
Le chardon vient après la rose ;
Après le bal, l'enterrement.

Le rire plein, large et sonore,
Le franc rire de nos aïeux ;
Ne s'envole plus vers les cieux ;
C'est à jurer qu'il déshonore !

Et le bon vin qui fait loucher,
Le vin gaillard, fils de nos vignes,
Où sont les vaillants qui soient dignes
Ah ! seulement d'en approcher ?

Tandis qu'en mon verre il rougeoie,
Plus d'un se râpe le palais
Avec l'ale ou le gin anglais.
Ils ont l'ivresse, non la joie.

D'aucuns, en pays allemand,
Vont se griser de lourde bière
Autant vaudrait se mettre en bière
Pour attendre le jugement.

D'autres, que Dieu les récompense,
Boivent dans un pot à pisser
Quelque chose qu'on voit mousser ;
Le coeur me léve quand j'y pense.

" Fi, pouah, pouah ! Les vilains goulus !
Le diable soit de leur bourrache ! "
Et la voilà qui tousse et crache :
" Les pauvres gens ! n'en parlons plus. "

" Je voudrais, dis je, belle brune,
Vous offrir un peu de vin blanc.
Les bouteilles sont sur le flanc,
Hélas ! il n'en reste pas une ! "

" Belle dame, excusez du peu !
Et que de grâces à vous rendre !
Mais, dites-moi, ne peut-on prendre
Un baiser... pour l'amour de Dieu ? "

Là-dessus, tout plein de cautèle,
Je m'approche. Mais en riant :
" Ah ! fi, fi. Le petit friand !
C'est qu'il aime la bagatelle !

Plus tard, plus tard, gros étourdi ;
Fais d'abord ton apprentissage.
A bas les mains ! Voyons, sois sage !
Nous verrons ça l'autre mardi. "

Et tout à coup, par la croisée,
La belle s'enfuit prestement.
C'est un vrai tour d'enchantement ;
Psit, psit ! Plus rien : une fusée !

J'ai beau m'écarquiller les yeux,
Rassembler mes pauvres idées.
Rien que les bouteilles vidées
Qui s'affalent à qui mieux mieux.

Et je l'avais là tout à l'heure,
Et son sourire était si frais !
Ah ! pour deux sous je pleurerais
Si je savais comment on pleure.

Amour, gaîté, tout est fourbu,
Et maintenant, ma foi, j'hésite.
Est-ce bien vrai, cette visite ?
Qui peut savoir ? j'avais tant bu.

(A la bonne franquette,1890)



     



Au cabaret


Quand, au cabaret, assis sous la treille,
J'ai mon verre plein à côté de moi,
Sans mentir je suis plus heureux qu'un roi ;
Si le vin m'endort, l'amour me réveille.

Holà ? Jean Lemoine, il sonne midi
A mon estomac ; lève-toi, mon brave.
Va·t'en voir s'il reste au fond de ta cave
De ce rejinglard de l'autre jeudi.

Jean Lemoine est lent comme une écrevisse.
Mais Dieu ! que sa fille a bonne façon,
Lorsqu'elle vous dit : " Mon gentil garçon,
Que faut-il c"ans pour votre service ? "

Son rire d'enfant, sa douce beauté
N'ont pas leurs pareils dans notre commune.
Elle efface tout comme un clair de lune
Pâlit en regard du soleil d'été.

Sa vertu d'ailleurs n'est pas trop farouche.
Un baiser, Dieu sait, est bientôt donné,
Et quand le vieux Jean a le dos tourné,
On peut l'embrasser en plein sur la bouche.

Rien ne vaut cela dans tout l'univers.
Oh ! le joli vin qui sent la framboise
Et le fin morceau que cette matoise
Qui m'a déjà mis la tête à I'envers !

Que faut-il pour être heureux en ce monde ?
Avoir à sa droite un pot de vin vieux,
En poche un écu, du soleil aux yeux,
Et sur les genoux sa petite blonde.

(Emaux bressans, 1884)






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