GABRIEL DE MOYRIAT



Né à Bourg en Bresse le 25 avril 1770, dans une des plus anciennes familles du Bugey.
Après une enfance partagée entre Bourg et le château familial de Volognat en Bugey, puis des études peu reluisantes chez les Frères de l'Oratoire, il tente le métier des armes dans le régiment de cavalerie du Baron de Meillonnas. Mais c'est aussi un échec. Il revient alors à Bourg en Bresse, pour se livrer à des passe-temps que lui permirent une fortune familiale : poésie, musique, dessin, vie dans la société de sa province…
Il finit par se consacrer exclusivement à la littérature. Il s'éteint le 22 décembre 1838.

- Contes et nouvelles en vers (1808)
- Hortense et Sophie, ou l arivale d'elle-même (comédie, 1808)
- Rosemonde (1812)
- Lettres d'un observateur provincial (1812-1813)
- Le siècle des lumières (1817)
- Le Malheur (1820)
- Odilie (1827)
- Marinella
- A Madame la Dauphine (1830)
- Le Lac de nantua (1831)
- L'Eglise de Brou (1835)
- Méditations au bord du Rhône (1838)






Les trois îles

Gloire, plaisir, amour, fortune, tout est vain ;
Tes bienfaits peuvent seuls remplir le cœur humain ;
Ils sont de tous les rangs comme de tous les âges :
Tu mérites par eux nos éternels hommages.
Règle donc mes destins, ne m'abandonne pas.
Avec douceur encore appuyé sur ton bras,
Je pourrai de la vie achever le voyage.
Ah ! dussé-je avec toi vivre dans les déserts,
Je te suis ; et quittant une foule volage,
Je saurai dans ton sein trouver un univers.

(Contes et Nouvelles)



Ruines de la Chartreuse de Meyriat

Mystérieuse Thébaïde,
Je veux goûter encor ce doux recueillement
Qui plaît au solitaire assis sous tes ombrages :
Laisse-moi m'inspirer à tes grandes images,
Ecouter le frémissement
Des sapins qui dans l'air balancent leurs feuillages,
Sans soin de l'avenir bercer nonchalamment
Ma pensée indécise au vague enchantement
De l'ineffable rêverie.
Aspirer tes parfums, cueillir tes fleurs sans art,
Et dans tes longs détours m'égarant au hasard
M'enivrer de ta poésie.





Brou

Quelquefois il imite une dentelle à jour,
Ou bien, comme un ruban formant les lacs d'amour,
En mille plis divers il serpente, il se joue,
De fleurons en fleurons se noue et se dénoue.
Le bois même, animé par de nobles ciseaux,
Docile, se découpe en de pieux tableaux ;
Le verre se colore, et fidèle à l'histoire,
Des saints et des héros conserve la mémoire.
Pour briller à son tour la pierre se polit,
En ogive s'élance, en cerceaux s'arrondit,
Forme une immense voûte où s'égare la vue,
Et paraît sans support dans les airs suspendue.




L'Albarine

Sous le dôme de frais ombrages
Parfois tu disparais soudain ;
Et toujours pur tu te dégages,
Roulant sur un sable argentin.

Parfois en cascade rapide
Au loin tu bondis, écumeux,
Et ton onde, prisme liquide,
Etincelle de mille feux.

Parfois encore ton flot s'apaise
Il s'endort dans un plein repos,
Et pour t'ombrager le mélèze
Etend sur toi ses verts rameaux.



La Méprise

Un papillon, l'autre matin,
De fleur en fleur dans un jardin
Voltigeait d'une aile légère,
Sans en trouver une à son goût.
Aux yeux celle qui pouvait plaire,
Hélas ! ne sentait rien du tout,
Une autre embaumait l'atmosphère,
Mais elle était pauvre en couleur,
Une rose enfin se présente
Aux yeux de notre voltigeur.
Il l'aperçoit, et sa fraîcheur,
Son parfum, sa forme élégante,
Tout le captive, tout l'enchante.
Il se livre à ce charme heureux,
Et sur cette fleur printanière
Arrête son vol amoureux.
Cloé, pourquoi cette colère
Qu'à ces mots je lis dans vos yeux ?
C'est bien se courroucer sans cause :
Calmez votre indignation ;
Car, si je suis le papillon,
Cloé, vous n'êtes pas la rose.

(in " Contes et Nouvelles ")






Plus loin, j'entends les cris de l'hydre populaire,
Rien ne peut assouvir sa rage sanguinaire.
Elle attaque sans but comme sans intérêt,
Détruire est un besoin, tout pouvoir lui déplaît ;
Elle souffle partout des feux qui la consument,
Et dans l'Etat soudain les passions s'allument.
Du monde social tous les nœuds sont rompus :
Les parents, les amis ne se connaissent plus ;
Le pouvoir du plus fort est le seul légitime ;
Le crime est la vertu, la vertu devient le crime ;
Les lois n'ont plus d'empire, et Thémis, en fuyant,
Sur les tables d'airain jette un voile sanglant.
Pour l'innocent, hélas ! il n'est point de refuge ;
Le plus vil des humains devient alors son juge ;
Il le poursuit encor dans la nuit du tombeau.
Point d'issue, il faut être ou victime ou bourreau ;
Un peuple de tyrans qui jamais ne se lasse,
Immole sans pitié tout ce qui le dépasse,
Ne laisse rien debout, et Procuste nouveau,
Soumet le genre humain à son affreux niveau.

(in " Le Malheur ")
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