EUGENE ROULLEAUX



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QUAND J'ETAIS ENFANT

Quand j'étais un petit enfant,
Peu soucieux de l'art d'écrire,
Adorant ma mère, et n'ayant
Pour horizon que son sourire,
Que le monde me semblait grand
Depuis le Couchant à l'Aurore !
Et le bon Dieu plus grand encore,
Quand j'étais tout petit enfant !

Le Diable seul était méchant,
Ombre unique dans la lumière
Qui baignait mon cœur, chevauchant
De la tendresse à la prière.
Toute parole était un chant
Plein d'amour sur mes lèvres roses,
Et, parmi tant de douces choses,
Le Diable seul était méchant.

Tout change, quand on prend l'essor
Sur la mer toujours vagabonde
Où la jeunesse vogue, encor
Plus capricieuse que l'onde,
La poésie aux ailes d'or
Fait un paradis de nos songes ;
Qu'ils sont séduisants, les mensonges,
Quand notre cœur prend son essor !

Puis vient le temps de la moisson.
Ah ! la semence était superbe !
Amour, espoir, illusion…
Hélas ! il n'en sort qu'une gerbe :
Le regret de ceux qui ne sont,
Chères ombres mal effacées,
Qu'une larme dans nos pensées,
Quand vient le temps de la moisson.

L'on redevient petit enfant,
Quand l'automne a séché la feuille,
Et l'on retrouve un doux présent
Dans les souvenirs qu'on effeuille.
Mère ! Dieu ! mots qu'un cœur aimant
Redit jusqu'à la dernière heure ;
En allant vers ceux que l'on pleure,
L'on redevient petit enfant.


(29 octobre 1871, Bourg)




VOIX DES RUES

A quoi bon, dispersant, aux quatre vents du monde,
Les forces de son âme en rêves impuissants,
Submerger sa raison dans cette nuit profonde
Où l'ordre et l'harmonie échappent à nos sens ?
A quoi sert au songeur d'attiser, sans relâche,
Une flamme livide au-dessous du creuset
Où se fond lentement, triste et funeste tâche,
Cet or pur que naguère en son cœur il puisait ?
Quoi ! toujours et toujours greffer des théories
Sur le fier rameau flétri qu'on appelle Progrès,
Sans jamais recueillir que d'impures scories
Dans l'urne où le destin nous cèle ses secrets !
Sans cesse tenailler, forçats de la pensée,
Ces problèmes fatals sans cesse irrésolus,
Qui font sourdre dans l'âme une rage insensée,
Et gangrènent le cœur où l'amour ne bat plus !
Loin des splendeurs d'un ciel éclatant de lumière,
Mineur aux yeux hagards que blesse la clarté,
De bas-fonds en bas-fonds explorer la tourbière
Que nos temps avilis nomment : Société !
Chercher l'homme partout, dans la matière impure,
Dans le lit que le luxe et le vice ont souillé,
Et ne jamais le voir, joyau de la nature,
Sortir des mains de Dieu, sublime, émerveillé ;
Ne demander le mot de notre destinée
Qu'aux sinistres échos des révolutions,
Ne voir la vérité jaillir, illuminée,
Que d'un lugubre éclair, torche des factions,
Et quand, de la Patrie, au crime habituée,
On réclame le prix des jours sacrifiés,
Ne presser sur son cœur qu'une prostituée,
Dont les caresses sont pour qui la foule aux pieds !…

Assez, assez d'encens brûlé sur l'hécatombe ;
Assez de flots sanglants dans le champ du progrès !
Jamais la Liberté, près d'un trône qui tombe,
N'a pu s'épanouir à l'ombre des cyprès.
Assez d'émeutes, assez de héros en guenille,
Farouches courtisans de la fraternité,
Hurlant : Amour et Paix ! avec un œil qui brille
Des feux de la colère et de l'ébriété !
Assez de rois d'un jour, trônant sur les décombres
Qu'entassent autour d'eux leurs systèmes bâtards ;
Assez de lâchetés frissonnant dans les ombres,
Quand flottent au soleil les pourpres étendards !
Assez de preux rampant devant la populace,
Assez de vils autels dressés au travailleur,
Et qu'on lui dise enfin que ,s'il veut trouver place
Au convoité banquet, il faut qu'il soit meilleur !

Oui, le tigre se lève ; on lui montre sa proie ;
Déjà l'air retentit de ses rugissements ;
Déjà son œil s'injecte, en attendant qu'il broie
La victime promise à ses embrassements.
On exalte sa force, et d'orgueil il s'enivre ;
D'impatients vautours flattent sa Majesté ;
Quiconque n'est pas lui n'est pas digne de vivre,
Et le monde est ouvert à sa voracité !

Que veulent-ils enfin, ces apôtres des rues,
Caïns au fratricide incessamment voués,
Evoquant parmi nous les ombres disparues
De leurs dieux par l'histoire au pilori cloués ?
Ces gens, courbés devant l'idole populaire,
Courtisans sans vergogne, ambitieux sans frein,
Qui, les mains dans la boue et le sang, pour lui plaire,
En font un diadème au Peuple Souverain !…
Oh ! trop longtemps ils ont, du haut de ces tribunes
Où plane l'anarchie avec l'impiété,
Jeté, drapeau sanglant de leurs basses rancunes,
Le nom de Robespierre au siècle épouvanté !
Trop longtemps dans leur bouche une folle hérésie
A, sous des noms pompeux, travesti les vertus,
Et, dans les bulletins de leur démocratie,
La Liberté n'a ri qu'au poignard des Brutus

LIBERTE ! nom sacré que leur lèvre profane,
Nimbe que la foi met au front de l'univers,
Fleur qui jamais au sein du juste ne se fane,
Parfum que le chrétien respire dans ses fers,
Il est temps, il est temps qu'un cri loyal te venge
De l'outrage à ton nom fait par tes faux soldats ;
L'émeute un siècle entier te traîna dans la fange ;
Qu'aujourd'hui la Raison te sauve de ses bras.
Dis leur que tu n'es pas la farouche Gorgone
Au dard toujours dressé comme un épouvantail,
Bavant son noir venin sur les marches d'un trône,
Et d'un progrès paisible insultant le travail.
Tu n'es pas le bélier, lourde et stupide masse,
Buttant contre le flanc de toute autorité,
Tu n'es pas l'ignorance, et tu n'es pas l'audace,
Sur des tréteaux boiteux prêchant l'égalité !

Oh ! quand j'entends rugir, à tous les coins du monde,
Un cri fauve et strident de malédiction,
Je me sens tressaillir d'une pitié profonde
Pour les fiévreux hérauts de l'insurrection.
Leurs yeux sont au hasard égarés, dans l'espace,
Vers des phares trompeurs qui vont s'évanouir ;
Comme jamais leur bras à frapper ne se lasse,
Jamais non plus leur cœur ne se lasse à haïr.
Oh ! qu'ils soient tous… Mais non ; je ne veux pas maudire…
Si la foule avilie à d'indignes héros,
Un poète en tout temps doit respecter sa lyre,
Et le Christ ne maudit pas même ses bourreaux.
Comme un Atlas vieilli, qui fléchit son épaule
Sous un monde trop lourd de ses iniquités,
Pendant que la raison, d'un pôle à l'autre pôle,
S'affaisse sous le poids d'idéals avortés,
Pendant qu'un noir génie obscurcit l'atmosphère,
Sous les vapeurs du mal montant en tourbillons,
Que, contre toute foi, la presse vocifère
Et livre l'avenir à l'émeute en haillons,
Pendant que le vaisseau, sans timon, sans boussole,
Va, d'écueil en écueil roulant vers le néant,
Qu'une voix de salut du fond des airs console
La vertu, blanche épave en ce sombre océan !
Ô plèbe ! je t'ai vue en tes jours de colère,
Echevelée, hideuse, et le bras menaçant !
Je sais ce que tu vaux, quand ton ivresse flaire,
Sous un trône écroulé, la pillage et le sang.
Mais, comme on voit parfois, au milieu de l'orage,
Quand le flot écumant s'entrouvre sous l'esquif,
Un pilote affamé convier au carnage
Le squale, sans son guide errant inoffensif,
J'ai vu, derrière toi, le pilote du crime
Enseigner le blasphème et d'infâmes exploits,
Signaler à tes coups la tremblante victime
Et laisser sur ton front la fange de ses doigts…

O Peuple ! lève-toi… - plus haut, plus haut encore !
Cesse de t'épuiser en spasmes superflus ;
Ne rampe plus aux pieds de qui te déshonore,
Car tu portes au front le signe des élus.
Si le coursier frémit sous le fouet qui l'outrage,
Quand il franchit le but, par sa fougue emporté,
Il sait que l'homme aussi le mène au pâturage,
Et libre, il aime encor la main qui l'a dompté.
Lorsque mille tyrans t'appellent, en démence,
Aux conquêtes que Dieu te refuse à jamais,
Vois l'asservissement de la nature immense,
Dont tu n'es plus le roi si tu le méconnais.
Sous un sceptre éternel tout l'univers s'incline,
Et de la liberté n'entrevoit que le seuil.
Confondre l'esclavage avec la discipline,
C'est se river les fers que nous forgea l'orgueil.
Le génie a brillé dans la cendre des âges,
Jetant sur le progrès des jours capricieux ;
Mais, quand l'humanité recule ses rivages,
C'est pour voir s'agrandir les profondeurs des Cieux.
O Peuple ! élève-toi jusqu'aux voûtes sereines
Où germe l'infini dans l'océan d'azur ;
Que, du monde créé, les splendeurs souveraines
Adoucissent ton âme et te rendent plus pur.
Alors, comme aux climats où la soif nous dévore,
Où nos esprits, troublés par des rayons brûlants,
Evoquent l'oasis qui soudain s'évapore,
Ouvrant l'immensité devant nos pas trop lents,
Tu verras ce que vaut la pompeuse doctrine
Fondant sur la matière un dogme universel,
Et le monde courir, de ruine en ruine,
Vers des déceptions d'un mirage éternel.
Alors tu sentiras ta colère sauvage
Fondre comme la neige aux premiers feux d'été,
Et, loin des passions qui font ton esclavage,
S'épanouir en toi la sainte Liberté
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