THOMAS RIBOUD



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A un ami en lui envoyant des poulardes.

… Poulardes fines est chose bonne,
C'est un vrai morceau de gourmand,
Mais il est encore plus friand
Quand c'est l'amitié qui le donne.

Pour passer de plus doux instants,
Mieux aimerait ta seigneurie,
Quelque poularde de quinze ans,
Belle, fraîche et pleine de vie.

D'un tel présent joyeux serais
Et charmé de sa bonne mine,
Au lit, non pas à la cuisine,
Très sagement tu la mettrais…

Mais cette volaille gentille
Assez abonde dans ta ville,
Facilement tu peux choisir,
Et je ne veux point t'en fournir.



Epitaphe d'un chat.

Ci-gît un illustre matou
Qui, sur un toit faisant le fou,
Se laissa choir et se rompit le râble.
Vous qui servez l'aveugle enfant,
Amis, pleurez le pauvre diable
Et gardez-vous d'en faire autant.


Thomas Riboud , 1780




Le Mari Borgne

Fin contre fin ne réussit jamais.
De ce vieux mot la preuve n'est pas rare.
En son recueil la reine de Navarre
Nous en fournit plusieurs excellents traits.

Dans Alençon vivait l'aimable Lise,
Femme à vingt ans d'un homme à barbe grise.
Dame nature, en formant son époux,
L'avait fait borgne et, qui pis est, jaloux.

Or chez hymen de pareil caractères
Avec amour ne se rencontrent guère.
Le vieil époux est amoureux sans fruit ;
Et sa moitié brûle et périt d'ennui.

Il est cruel de mettre la jeunesse
Près de la froide et mourante vieillesse.
C'est l'intérêt qui forme de tels nœuds,
Mais l'intérêt ne fait pas des heureux.

Amour, touché des chagrins de la dame,
S'en attendrit et voulut les finir.
Un jouvencel adroit et plein de flamme
Fut député par lui pour la guérir.

La jeune Lise à sa vive éloquence,
Pendant huit jours, en femme résista ;
Mais de son cœur la sombre indifférence
Bientôt s'enfuit ; l'amour seul y resta.

Sans son époux Lise trouva Cythère ;
Mais le barbon soupçonna le mystère,
Et très souvent ses efforts inquiets
De nos amants renversaient les projets.

Le dieu malin rit de la jalousie ;
Tendres amants, il sait vous en venger,
Et maintes fois sa féconde industrie
Vient à propos vous tirer du danger.

Un jour l'époux en la ville prochaine
Feignit d'aller pour cas intéressant.
Il annonça qu'il devait être absent,
Bien malgré lui, pour plus d'une semaine.

Lise à ces mots laissa couler des pleurs.
Etaient-ils nés de joie ou des tristesse ?
De ses adieux quelle fut la tendresse ?
Je vous le laisse deviner, lecteurs.

Le mari loin, bientôt de son voyage
Le jouovencel fut par la dame instruit,
Et, pour lui faire oublier son veuvage,
Le même soir, chez elle il se rendit.

Quand il fit nuit, terminant sa campagne,
Notre vieillard rentra dans Alençon ;
Et, soupçonnant quelque peu sa compagne,
Incontinent courut à sa maison.

Contre la porte il frappe comme quatre,
Menace, peste, et jure de l'abattre.
Nul ne répond… Le tremblant jouvencel
maudit alors sa maîtresse et le ciel.

De mes faveurs, ami, montrez-vous digne.
Cher jouvencel, qui doit craindre ?… C'est moi.
Sous ce rideau sans bouger soyez coi,
Vous sortirez dès que je ferai signe.

Pendant ce temps le vieillard en courroux,
Pour faire ouvrir, multipliait ses coups.
L'épouse alors, imitant à merveille
Femme endormie et qui soudain s'éveille :

Qui vient, dit-elle, et fait tapage ainsi ?
Retire-toi, voleur, vide-bouteille !
Si mon époux, hélas ! était ici,
Tu n'en serais quitte pour un oreille.

Au nom de Dieu, ma femme, viens m'ouvrir !
Reconnais-moi ! C'est ton mari, ma mie !
Par le gros temps forcé à revenir,
De voyager j'ai perdu la folie.

Serait-ce cous, à minuit, cher époux ?
Dit la donzelle ouvrant la porte.
Quoi ! surprend-on sa femme de la sorte !
En ce moment, las ! je rêvais de vous.

Que je bénis la fin de ce voyage !
Car à mes sens un ange est apparu,
Lequel m'a dit que votre œil perdu,
par grand bonheur aviez repris l'usage.

Songes, dit-on, nous trompent rarement.
Hélas ! monsieur, souffrez que votre Lise
De ce miracle elle-même s'instruise ;
Hier j'en eus certain pressentiment.

Puis, sur cet œil que madame nature
Faisait servir tout seul à sa figure,
En folâtrant, l'autre main se plaça
Et le bonhomme aveugle demeura…

Ce geste était le signal de la fuite
Du jouvencel ; il saisit le moment ;
De son réduit il sort tout doucement,
Gagne la porte et s'échappe au plus vite.

Serait-il vrai, mon pronostic heureux ?
Ami, dis-moi si ta faible paupière
Donne passage à la douce lumière
Et si les corps vont se peindre à tes yeux ?

O tendre cœur, tu n'as fait qu'un vain songe,
Dit le vieillard ; cet ange t'a trompé.
Il devrait bien rougir de son mensonge !
Mais, par bonheur, je le crois décampé.


Thomas Riboud, avril 1780






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