Abraham de Vermeil

Abraham de Vermeil naquit à Cerdon-en_Bugey, vers 1555. Il fut annobli par le duc de Savoie Charles-Emmanuel en 1593 en remerciement d'un poéme de bienvenue à Paris en 1592.
Il est connu pour diverses pièces parues dans plusieurs recueils de l'époque. ("Les Muses françoises ralliéesde diverses parts à Mademoiselle de Guise"). Son ouvrage le plus important, dont parle Samuel Guichenon dans son Histoire de Bresse et Bugey, est une Histoire de Louis IX, en 24 chants, resté manuscrit, et malheureusement perdu. (A moins que ce site aide à le retrouver, on ne sait jamais).



Belle, je sers vos yeux et vos cheveux dorez,
Mais un autre, ô rigueur, va moissonnant ma peine,
Ainsi mais non pour soy l'agneau porte la laine,
Ainsi mais non pour soy l'abeille porte ses rais,

Ainsi mais non pour soy le boeuf fend les guerets,
Ainsi mais non pour soy le chien brosse la plaine,
Ainsi mais non pour soy le cheval fond de peine,
Et le forçat ainsi fend les flots azurez.

O brebis, mousches, chiens, chevaux et forçaires,
N'avez-vous point sujet de plaindre vos miseres,
Lainant, ruchant, gaignant, chassant, portant, ramant !

Si avez pour certain, mais las ! en vostre tasche
Vous avez du repos, et je sers sans relasche
En servant vous vivez, et je meurs en servant.



Sonnet au lieu de sa naissance

Solitaires frayeurs de ces grottes moussuës,
Masures qui montrez la cholere des ans,
Vallons entre-couppez doucement verdoyans,
Et vous monts qui bravez la region des nuës,

Nymphes qui gazouillez dans vos ondes congnuës,
Guerets qui foisonnez soubs les coultres trenchants,
Escoutez mes chansons, et vous tous habitans
De ces eaux, de ces bois, de ces roches Cornuës ;

J'ai dans la main un luth dont le ton vigoureux
Peut faire retentir mes desirs amoureux,
En immortalisant vostre nom sur la terre :

Respondez seulement quand j'aurai commencé,
Afin que si Jupin s'en tenoit offencé,
Nous confondions de bruit l'esclat de son tonnerre.



Puissant sorcier d'Amour transformé en abeille,
Je vous conjure fleurs de ces bords verdoyans,
Et vous flots argentins doucement ondoyans,
De laisser reposer la belle qui sommeille.
Je veux roder trois fois autour de son oreille,
Et me percher trois fois sur ses crins roussoyans,
Je veux baiser trois fois ses beaux yeux foudroyans
Et succer tout le miel de sa bouche vermeille.

Mais elle est esveillee, et ses beaux doigts de lis
Me donnent jà la Mort pour les baisers cueillis,
Pressant mon corps froissé contre ses levres closes.
O heureux enchanteur, puis que tes jours de fiel
Finissent doucement par une mort de miel,
Couché dans un tombeau et de lis et de roses.

( Seconde Partie des Muses françoises ralliées de diverses parts, 1600 )



Un jour mon beau Soleil miroit sa tresse blonde
Aux rais du grand Soleil qui n'a point de pareil :
Le grand Soleil aussi miroit son teint vermeil
Au ray de mon Soleil que nul ray ne seconde :

Mon Soleil au Soleil estoit Soleil et onde :
Le grand Soleil estoit son onde et son Soleil :
Le Soleil se disoit le Soleil nompareil :
Mon Soleil se disoit le seul Soleil du monde :

Soleils ardants laissez ces bruicts contentieux,
L'un est Soleil en terre et l'autre luit aux Cieux ;
L'un est Soleil des corps, l'autre Soleil de l'ame.

Mais si vous desbattez, Soleils, qui de vous deux
Est Soleil plus luisant et plus puissant de feux,
Soleil tes jours sont nuicts comparez à Madame.

( Seconde Partie des Muses françoises ralliées de diverses parts, 1600 )



Sonnet à Seine et à ses rivages

Je m'embarque joyeux et ma voile pompeuse
M'oste desja la terre et me donne les mers,
Je ne voi que le Ciel uni aux sillons pers ;
C'est le premier estat de mon ame amoureuse.

Puis je voi s'eslever une vapeur confuse,
Ombrageant tout le Ciel qui se fend en éclairs ;
Le tonnerre grondant s'anime par les airs,
C'est le second estat dont elle est langoureuse.

Le troisiesme est le flot hideusement frisé,
Le mast rompu des vents et le timon brisé,
Le navire enfondrant la perte de courage.

Le quatriesme est la mort entre les flots salez
Abattus, rebatus, vomis et avalez ;
Bref mon Amour n'est rien qu'un horrible naufrage.



Sonnet

Nuict piteuse aux Amants, empierre je te prie
Mes membres renversez sur cest huis inhumain,
Retranche de mon corps l'exterieur humain,
Et q'un degré muet soit l'hoste de ma vie,

Afin que la rigueur de ma fiere Ennemie
Ne trouve en me voyant sujet d'un lendemain,
Qu'elle jette sur moi et son oeil et sa main
Moins cruels, que son pied me foule sans envie ;

Ou ramolli pour moi son coeur de diamant,
Coeur plus mol que la cire au feu d'un autre Amant,
Amant qui foule aux pieds mon esperance morte ;

O verrai-je jamais son front escarbouillé
Par mon art furieux et tout mon front souillé
De cervelle et de sang respandu sur la porte ?

( Seconde Partie des Muses françoises ralliées de diverses parts, 1600 )



Le baiser en l'Amour est l'octave en Musique

Le baiser en Amour est l'octave en Musique,
Vous en avez prins un, et vous en voulez deux ;
Pourquoy enervez-vous les accords amoureux,
C'est pecher, disiez-vous, contre la Theorique.

Non je ne baise point qu'en pure Arithmetique,
Respondis-je soudain, deux baisers savoureux
Font nombre, l'unité est un rien mal heureux
Payez moi, vous devez une chose Physique.

Que vous este mauvais, repliquastes vous ors,
Qui pourroit resister à arguments si forts,
Qui me font succomber en si juste querelle ?

Moi respondit Amour, et d'un dard furieux,
Qu'il trempa plusieurs fois aux flammes de vos yeux,
Il m'enfonça le coeur d'une playe immortelle.






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