LES NOËLS ANCIENS DES PAYS DE L'AIN



La fête de Noël est une des plus anciennes du christianisme. Il faut remonter presque au berceau de l'Eglise d'Occident pour arriver à l'époque de son institution. Ce fut, d'après certains auteurs, l'évêque Télesphore qui l'établit en 138. Mais, à cette époque, cette fête était essentiellement mobile; on la célébrait tantôt au mois de janvier, tantôt au mois de mai. Dans le cours du IVeme siècle, Cyrille, évêque de Jérusalem, s'adressa au pape Jules 1er et lui demanda d'ordonner une enquête parmi les docteurs d'Orient et d'Occident sur le véritable jour de la nativité de Jésus-Christ. Les théologiens consultés s'accordèrent pour désigner le 25 décembre, et c'est depuis lors qu'elle est fixée à cette date, même si elle fut en son temps contestée, rien dans les Evangiles ne venant l'étayer.

Certains chercheurs pensent que cette date du 25 décembre aurait été choisie pour remplacer les fêtes antiques du solstice d'hiver, connues sous le nom de Saturnales dans la Rome antique, et donnant lieu à plusieurs jours de débauches et de licences : pendant ces jours de fête qui commen-çaient le 16 des calendes de Janvier, toutes les distinctions sociales disparaissaient pour faire place à l'égalité la plus absolue. On avait aussi coutume de s'envoyer des petits présents. Jules César fit passer sa durée de 1 à 3 jours ; puis, au cours des siècles suivants, elle atteint 7 jours.

De ces Saturnales est restée la Fête des Fous, ou des Innocents, le 28 décembre, Innocents étant à prendre dans le sens de " simple d'esprit " ; est restée aussi la fête des Rats. Et puis, ne parle-t-on pas en Bresse de " la grouba de chalende ", c'est-à-dire la " grosse bûche noueuse des calendes ". Ailleurs dans le département, Noël se dit carrément " chalandes ", à Vaux par exemple.

Bien entendu, chaque région fêtait, préparait Noël à sa façon, même si on trouve un canevas commun à toutes. Denis Bressan, au début de ce siècle, a décrit ainsi une veillée de Noël en pays de Bresse autour des années 1880. Il fait parler un ancien, le père Badet :

" Autrefois, ... nous passions la veillée à la maison, sous la vaste cheminée où brûlait la bûche traditionnelle, la grouba de chalende...
" Cette soirée avait quelque chose de recueilli et de patriarcal... Au dehors, le plus souvent, il gelait à pierre fendre et la terre était recouverte d'une épaisse couche de neige. Il ne faisait pas chaud de reste non plus sous notre vaste cheminée, une de ces cheminée sarrasines comme on n'en voit plus guère maintenant, terminée en haut par une sorte de clocher ajouré surmonté d'une croix, et dont le vide intérieur était en forme de pyramide quadrangulaire à base très évasée. L'air froid du dehors descendait facilement par une pareille ouverture, tandis que presque toute la chaleur du foyer y disparaissait au lieu de se répandre dans la pièce...
" Aussitôt après le souper, tout le monde se levait de table. Les hommes se chauffaient un moment en attendant de faire quelques parties de cartes. L'une des servantes faisait la vaisselle dans le chambrion et l'autre, la grand'servante, se hâtait de faire ses gaufres de blé noir pour le lendemain, car elle savait bien que le matin de Noël elle n'aurait guère le temps de s'en occuper.
" Aussitôt le trépied et les fers à gaufres enlevés, ma mère disait : " Tu sais, Mélanie, ce soir tout le monde se lave les pieds. " " Oh! j'y songe ", répondait vivement la servante, comme légèrement offusquée de ce qu'on pût la soupçonner d'un tel oubli. Et elle s'en allait quérir une grande pleine marmite d'eau qu'elle pendait à la crémaillère et sous laquelle elle ravivait le feu.
" Une seule marmite ne suffisait pas, car on était nombreux, et chacun ce soir-là, selon la coutume, prenait un bain de pieds, aussi bien les petits que les grands, aussi bien ceux qui restaient à la maison que ceux qui allaient communier à la messe de minuit. Les valets apportaient pour cela les seilles qui servaient à abreuver les bêtes, et tout le monde procédait sur place à cette opération de propreté, accompagnée bien souvent de quelques amusantes taquineries...
" Tout cela fait, le moment le plus solennel de la veillée, le plus palpitant d'intérêt pour tous, était venu. Il s'agissait d'apporter dans l'âtre, sur la braise rouge, la bûche de Noël, la grouba de chalende. C'était un beau tronc de chêne, parfois tout noueux, de cinq à six pieds de longueur, à l'écorce rugueuse et recouverte de mousse. Le grand-valet l'avait préparé d'avance et déposé sous l'avant-toit, près de la porte de maison, pendant que les autres domestiques affouraient le bétail... On la posait sur le landier qui était énorme, on mettait autour un peu de menu bois, des petites branches, et aussitôt une belle flamme montait en l'air... Ah! le bon moment que nous passions-là... Ce soir-là, ma grand-mère, qui était très superstitieuse, n'oubliait pas de nous conter, comme des choses dont il ne fallait pas douter, quelques anciennes légendes...
" Vers les dix heures, mon père faisait porter... une bonne brassée de foin dans le râtelier des bêtes pour qu'elles pussent, elles aussi, faire le réveillon et fêter la venue de l'Enfant Jésus...
" Le moment était venu de partir... La petite église était pleine de monde, venu de tous les hameaux de la paroisse, et comme elle n'était jamais chauffée, on n'y transpirait pas, je vous prie de le croire... Aussitôt la messe finie, vous pensez bien qu'on ne s'amusait pas à babiller sur la place, on s'en retournait au galop, tout aussi transi de froid... On avait hâte de rentrer à la maison pour caresser le bon feu de la bûche et faire le réveillon.
" Oh! ces réveillons de mon jeune âge, quand j'y pense, l'eau m'en vient encore à la bouche. Un beau millet doré et surtout la fricassée de minuit en constituaient les plats habituels... C'étaient des boudins que ma mère achetait deux ou trois jours auparavant ... Il y en avait au moins deux aunes et ils étaient si beaux, si gros, si ronds qu'on s'en régalait rien que de les voir. On les découpait par morceaux énormes qu'on mettait cuire dans la poêle avec des petites saucisses, de l'huile et du saindoux...

Noyé, noyé é venu,
No faran la beurdifaille
Noël , Noël est venu,
Nous ferons la bredifaille


" Après avoir bien collationné, on allait au lit et rêver aux réveillons futurs. "


QUELQUES LEGENDES ET CROYANCES RATTACHEES A NOËL

Le bain de pied pour la veillée de Noël protège de la morsure des reptiles.

Pendant la messe de minuit, au moment où le prêtre élève l'hostie, les bêtes de l'étable sont toutes agenouillées devant la crèche. On ne doit pas aller les voir à cet instant précis. Ni les déranger. Si on y va, les bêtes parlent, et on est sûr de mourir dans l'année... Un fermier des Granges-Neuves, voulut s'assurer de la chose. Juste au moment où son horloge sonnait les douze coups de minuit, il ouvrit la porte de son étable, pour entendre une vache demander : " Que ferons-nous demain ? ". " Rien lui répondit une autre, notre maître sera mort ! ". Le bonhomme eut si peur qu'il s'en évanouit. On le retrouva grelottant de froid. Au matin, il était mort, probablement emporté par le froid qu'il avait subi.
Une variante dit que le curieux recevrait d'un esprit malin, ou du diable lui-même une gifle magistrale, sous les rires des bêtes !

On ne devait pas travailler pendant la messe de minuit. Les femmes ne devaient ni coudre, ni filer... Une pauvre femme, bien pauvre et bien malheureuse connaissait la légende, mais elle avait tant et tant de raccommodage à faire qu'elle ne vit pas passer l'heure. Tout entière à sa besogne, elle continua de travailler à l'heure de la messe de minuit. Alors, elle ne put plus tout s'arrêter ; elle se mit à coudre, à coudre, et encore à coudre, pendant des heures, pendant des jours, sans jamais s'arrêter. Et pendant ce temps, le sol s'enfonçait sous elle, peu à peu, et elle descendait, assise sur sa chaise, inexorablement. Jusqu'au jour où elle fut enterrée vivante.

C'est à Noël que les Pierres qui virent, du côté de Dortan, de Matafelon, font un tour sur elles-mêmes. Est-ce une allusion naïve, mal comprise au moment où la terre achève une révolution autour du soleil pour en recommencer une autre ?

Autre pierre, celle située près de Bagé la Ville, et nommée Pierra Matafamgha, qui pouvait se manifester de deux manières la nuit de Noël : Soit elle se couvrait de matefaims, soit elle montrait un trésor. Il fallait se rendre au soir du réveillon près d'elle avec tout le matériel à matefaims, poser la poèle sur la pierre, et pendant que s'égrenaient les douze coups de minuit faire sauter douze matefaims sans en rater aucun. Celui ou celle qui serait assez rapide pour réaliser ce tour de force aurait la chance de trouver un trésor au cours de l'année. Ce n'est pas sans rappeler la légende de la Tour de Jasseron qui présente son trésor durant le temps que durent les douze coups de minuit.

En rentrant de la messe de minuit, il est important de donner du fourrage au bétail, ou de porter à manger aux grenouilles pour les empêcher de coasser pendant l'année qui vient.

On mange la provision de noisettes durant ces jours, mais surtout pas le jour de Noël, car cela donnerait des furoncles.

On va aussi en pélerinage : à Chavannes sur Suran pour prier Saint Jean afin qu'il procure de bonnes récoltes. ; ailleurs, on allait voir Saint Antoine pour guérir les cochons !

A Béréziat, si on ne va pas à la messe de minuit, les récoltes seront détruites par la grêle ou par le feu. On va prier au pied d'une statue ( ? ) pour le bétail.

Du côté de Dommartin, on place une grosse bûche dans la cheminée en partant pour la messe de minuit. Si elle est éteinte quand on revient, c'est très mauvais signe.
Les filles à marier vont jeter une épingle dans une fontaine. Si l'épingle se tient droite sur la pointe au fond de l'eau, elles trouveront un époux dans l'année.
On va prier devant une croix grossièrement taillée dans la pierre, sinon les bestiaux périront à coup sûr.
De même, on va en pélerinage dans les bois où quelqu'un a été assassiné pour éviter que son âme ne vienne les voler.

A Cize, les vieillards allaient prier sur un mamelon au pied de la statue d'une madone. Ils faisaient un grand feu et déposaient au pied de la madone un présent d'un parent mort dans la famille, ou un objet lui ayant appartenu.

Une croyance du Haut-Bugey rapporte que la nuit de Noël, le roi Hérode part à la chasse. Il parcourt la contrée pour débusquer et punir ceux qui négligent ou refusent de se rendre à la messe de minuit. Le pontonnier qui faisait traverser les voyageurs du côté de Thoirette, racontait avec force détails comment un soir de Noël où il était resté bien au chaud dans sa chaumière, il fut réveillé en sursaut par des coups violents contre sa porte ; comment il se leva précipitamment, ouvrit sa porte pour se retrouver face à un chasseur gigantesque. Celui-ci sauta dans sa barque, suivi par une meute de chiens impressionnants, pendant qu'on entendait une fanfare dont on ne pouvait voir les joueurs ! Le passeur se dépêcha de faire traverser tout ce monde, terrifié qu'il était. Une fois de l'autre côté, sous le vacarme de la fanfare invisible, le chasseur déposa dans la barque une bourse remplie de pièces d'or, en ricanant. Une fois de retour en sa chaumière, le passeur voulut compter son trésor, mais ne retrouva plus que des feuilles de houx qui lui piquèrent désagréablement les mains, lui rappelant la légende... Dans nos régions de Bresse, cette chasse redoutable semblait avoir lieu le soir de la Fête des Rats, le 29 décembre.



Pendant les veillées de Noël, et durant les différentes messes qui scandaient la nuit du réveillon et la journée suivante, on chantait des chants simples dédiés à la Nativité. C'était une coutume de l'Eglise primitive. On en possède en latin de très anciens. Puis, au cours des premiers siècles, le latin se mélangea aux différents dialectes, aux patois qui fleurissaient d'un bout à l'autre du royaume. Enfin, ces chants naïfs furent composés en patois seulement. Bien sûr, ils n'existaient alors qu'oralement, et il fallut attendre le XVIIeme siècle pour avoir les premières transcriptions écrites.

Le Noël est une des formes les plus anciennes, les plus archaïques de la poésie populaire. La fête de Noël prenant rapidement le pas sur toutes les autres, les chants qui l'accompagnent prennent également le pas sur les autres.. Dans nos provinces de Bresse et de Bugey, le Noël devint peu à peu une véritable représentation se rapprochant un peu des " Mystères " du Moyen-Âge. On construisait des crêches vivantes, où l'enfant Jésus voyait le jour dans le bocage bressan et non plus en Judée. Tout le village jouait la nativité, même si parfois l'Eglise " officielle " voyait cela d'un mauvais oeil.

" Le Noël n'est donc pas, dans les Pays de l'Ain, un simple cantique à la gloire de Dieu comme il le deviendra plus tard, ni une évocation pure et simple du drame sacré. Concret et familier, il s'intègre étroitement à la vie de la paroisse. En effet, par un miracle de la foi, qui confond le rêve pieux et la réalité, la Nativité devient un évènement du village bressan ou bugiste : on accède à la crêche par des charrières boueuses ou verglacées, après avoir longé les serves où le diable pourchassé ira tomber... Mais Noël est un jour de fête et les fêtes se célèbrent d'abord par un bon repas : aussi les évocations de réveillons sont-elles fréquentes dans cette poésie, et vont parfois jusqu'à en devenir le thème essentiel. "
(in P. Guichard : Histoire Littéraire des Pays de l'Ain, 1995).


Le premier Noël de Bourg fut ainsi qualifié " d'hymne à la goinfrerie " ! Il est vrai qu'on ressent une atmosphère de grand banquet dès les quelques premiers vers dédiés à la crêche de Bourg !
Les premiers Noëls ont été récoltés et traduits par écrit par Jacques Brossard de Montaney vers 1680, pour ce qui est des Noëls de Bourg et ceux des paroisses environnantes.
Ceux de la région de Pont de Vaux à Macon sont dûs à Borjon, mort vers 1691.





NOËLS ANCIENS DES PAYS DE L'AIN

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