Dans le courant du Moyen-Age, on divisait les différentes langues "issues du
latin" en trois branches : la langue d'oc, la langue d'oïl, et les langues
de si, de la manière dont les habitants avaient l'habitude de dire oui.
Soit, au sud de la Loire, entre la Loire et les Pyrénées (oc), soit au nord
de la Loire (oïl), et en Espagne, en Portugal et en Italie (si).
Pour schématiser à l'extrême, disons que ces trois branches sont issues des
différentes langues qui se parlaient à l'origine, lesquelles ont été en quelque
sorte cimentées par l'usage progressif du latin, à partir de la conquête romaine.
La langue d'oc est plus romanisée du fait que les Romains ont colonisé les
régions provençales bien avant le reste de la Gaule.
On peut raisonnablement penser que les peuples colonisés par Rome n'aient pas
abandonné leurs langues du jour au lendemain parce que les législateurs
nouveaux et les colons parlaient leur propre idiome. Les conquérants romains
n'ont pas eu besoin d'imposer quoi que ce soit. Jules César conduisit 7
grandes campagnes militaires en Gaule. Elles firent environ 1 million de
victimes, et à peu près autant de prisonniers emmenés ailleurs dans l'empire
romain. Des milliers d'autres s'engagèrent dans les légions pour éviter
l'emprisonnement. La Gaule était dévastée, dépeuplée. Les colons n'eurent
qu'à s'installer sans problèmes majeurs. Une nouvelle langue s'est formée
peu à peu, mélange du latin, du gaulois, et du celte, sans oublier les
diverses tournures de langue qui devaient déjà exister d'une région à l'autre.
Sous ces vastes alluvions latines, quelques mots de la langue originelle gardèrent leur sève et
leur physionomie. On les retrouve encore aujourd'hui dans les tournures de
certains parlers régionaux. Ces tournures ont nom "patois" et "dialecte".
Les différencier est assez simple : le "dialecte" à une littérature (parfois
abondante et de grande qualité), le "patois" n'en a pas (ce qui complique sa
transcription sur le papier).
Dans quelques régions, ces idiomes ont été constamment modifiés par les
invasions, les annexions, les conquêtes et autres fusions de peuplades.
Les Pays de l'Ain sont de ces régions privilégiées. Ils ont longtemps été
possessions savoyardes, donc rattachées à l'Italie, jusqu'en 1601, date de
leur réunion à la couronne de France. On trouvera donc un mélange de langue
d'oc, de langue d'oïl et de langue de si. Le tout a formé le franco-provençal
( voir carte page suivante ). La région étant un carrefour, un lieu de passage
presque obligé entre le nord et le sud, entre l'occident et l'orient, sont
venus se greffer un grand nombre de dialectes et parlers d'autres peuples.
" On nomme plutôt dialecte la langue d'une population nombreuse, importante,
le plus souvent indépendante des populations voisines parlant la même langue
qu'elle ; et patois le langage d'une contrée d'importance moindre, dont la
dépendance, vis-à-vis d'une nation plus cultivée, a forcé l'idiome national
à descendre dans les classes inférieures ou à se réfugier parmi les populations
rurales. "
(P. Larousse, Grand dictionnaire du XIXeme siècle )
Pour la région qui nous intéresse, nous avons une base commune qui était
certainement à l'origine une langue commune ( on retrouve certains termes
du patois bressan dans le patois piémontais, par exemple ), qui s'est
morcelée en divers dialectes, dans lesquels les habitants de contrées
différentes ont puisé certains mots pour en abandonner d'autres, en ont
inventé de nouveaux, etc…, pour parler un patois qui leur était propre.
Lorsque les légions de Jules César vinrent en Gaule, les peuples gaulois
parlaient un certains nombre de langues, différentes mais très proches les
unes des autres.
La première tendance du langage a été vers une variété sans bornes.
Contre cette tendance, cependant, il y a eu, dès le principe, un frein
naturel qui a préparé le développement des langues nationales et
littéraires ; la langue du père devint celle d'une famille, la langue
d'une famille devint celle d'une tribu. Dans une seule et même tribu,
les différentes familles conservaient entre elles leurs expressions et
leurs formes familières ; elles créaient de nouveaux mots, dont
quelques-uns étaient si bizarres et si étranges que les autres membres
de la tribu pouvaient à peine les comprendre. On connaît cela avec les
mots "cabalistiques" dont se servent tous les adolescents (une partie
entrant plus tard dans le dictionnaire). De telles expressions étaient
bien sûr supprimées du langage courant employé dans les grandes réunions
où tous les membres de la tribu venaient discuter les intérêts de tous.
Nous-mêmes ne parlons pas forcément de la même manière selon que nous
sommes en famille, entre vieux amis, en réunion publique…
Chaque famille de la tribu reprenait son langage, son dialecte, autour du
feu familial. C'était aussi une manière de se protéger de quelques oreilles
indiscrètes ! Chaque "classe" avait aussi ses expressions propres : les
domestiques, les bergers, les soldats, les esclaves, les prisonniers,
préfiguration de certains argots actuels. Les femmes créaient leurs mots
pour la maisonnée, chaque génération apportant les siens pour ne pas être
en reste… On assistait aussi à la "fabrication" de dialectes spéciaux à
quelques professions, incompréhensibles si on ne fait partie de ladite
profession, ou corporation.
Au fur et à mesure que la langue "commune" de la tribu, puis de la
confédération de tribus, se développait, des patois faisaient leur
apparition, ciments d'une famille, d'un groupe, d'un village, d'une
petite région. Langue essentiellement parlée, en constante évolution,
qui a tendance à disparaître avec la modernité. Mais, bien que les progrès
de la civilisation et de la centralisation concourent à en réduire le nombre,
à en faire disparaître de plus en plus, ou à en affaiblir les traits, les
patois demeurent encore dans tous les peuples, plus ou moins vivaces.
Incertains dans leurs origines, inconstants dans leurs formes, les patois,
des Pays de l'Ain ou d'ailleurs, ne fixèrent jamais un vocabulaire précis,
ni même une orthographe reconnue par tous ceux qui les parlaient. Ils
renferment des éléments de la plus haute antiquité, contemporains de la
langue latine (parlée essentiellement par les lettrés compte tenu de sa
complexité), et même antérieurs à la conquête romaine. On y trouve des
termes venus du gaulois et d'autres langues appartenant aux peuples qui
traversèrent e pays à ces époques reculées. Cependant, ce sont le latin
et le "franco-provençal" qui ont laissé leur empreinte la plus reconnaissable.
A partir du règne de Charlemagne, la guerre éclata entre les différents
patois et dialectes, et la langue "nationale". La langue des Francs,
définitivement appelée à éclipser toutes les autres par des décrets de
l'empereur " à la barbe fleurie ", se retrouva propulsée au premier plan,
dans les écrits d'importance, avec une calligraphie particulière. Elle
finit par absorber peu à peu tous les dialectes celtiques, pour en former
de nouveaux, composés d'éléments hétéroclites, que nous connaissons sous
le nom de langue d'oïl, avec l'objectif affiché d'absorber aussi la langue
d'oc.
Grâce aux annexions territoriales successives au cours des deux ou trois
siècles qui suivirent, comme les royaumes d'Arles, de Vienne, le comté
de Toulouse, enfin de toute la Gaule, la langue officielle supplanta toutes
les autres. Même si certaines régions du sud résistèrent et continuèrent à
rédiger les actes officiels en "langue vulgaire" plutôt qu'en latin ou
"français" (Béarn, Provence, règles des Templiers, chroniques de Montpellier,
du Limousin, du Quercy, du Rouergue…), jusqu'au XIVeme siècle. Ces textes
étaient out aussi clairs, sinon plus clairs que certains écrits
incompréhensibles rédigés dans une langue "de bois" étudiée pour n'être
comprise que par une certaine élite. Le bon peuple parlait le patois, le
dialecte. Et toutes sortes de transactions se faisaient dans ces langues-là.
Mais laissons la parole à Pierre Larousse, dans son Grand Dictionnaire
Universel du Dix-neuvième siècle, époque où les patois sont de plus en plus
défendus et étudiés, voire mis par écrit. Il se fait l'avocat des dialectes
locaux, sans vraiment mâcher ses mots" :
""Si l'on peut vanter à bon droit la clarté, la franchise de nos dialectes
nationaux, on leur doit une égale part d'éloges pour l'originalité de leurs
expressions et de leurs tournures, pour la richesse d'invention qui leur a
fait créer tant de mots heureux et caractériser d'un trait juste et rapide
tous les objets de la nature. C'est là surtout qu'apparaît le tort de la
pédante nomenclature des sciences naturelles, qui, la plupart du temps,
n'ont fait que convertir en termes baroques, hérissés de grec et de latin,
les mots nets et harmonieux imaginés par nos pères… Presque toujours, le
nom patois des objets est en rapport frappant avec eux :c'est réellement
une étiquette. Ainsi, dans le Morvan, le canard s'appelle tout simplement
goulo, le goulu.
""Vous est-il arrivé dans votre enfance, dit à ce sujet Charles Nodier, de
découvrir au pied d'un chêne, à demi calciné par le temps, in ilice cava,
un vigoureux insecte qui brille de tout l'éclat de l'écaille polie, de lier
une soie légère à un des tarses de sa dernière paire de pattes et de
l'abandonner à son essor, avec la certitude triomphante de le ramener à
vous ? Le pédant latiniste l'appellera une lucane, pour apprendre peut-être
aux pédants comme lui que ce bel animal habite les bois (lucus), et il se
gardera bien de l'appeler un sylvain, parce que sylvain est trop connu.
Le pédant helléniste l'appellera un platycère, pour faire savoir à ceux qui
savent le grec que son scarabée a de larges cornes. Ne vous inquiétez pas de
la terminologie de ces gens-là. Demandez au premier berger, et vous saurez
que cet insecte est un cerf-volant, nom pittoresque, expressif, qui
caractérise l'espèce… Il n'y a que le peuple qui sache nommer les êtres
créés, parce que c'est à lui qu'il a été donné de faire des langues,
parce qu'il a seul hérité du brevet d'invention d'Adam.
"…
"Un excellent modèle de nomenclature, en revanche, et que les savants, cette
fois, n'ont pas osé rejeter, est la nomenclature astronomique : le chemin de
lait (la voie lactée), le chariot, le dragon, l'étoile du berger, etc… ;
aussi, ce sont les bergers qui l'ont faite.
(et l'auteur de dresser une liste éloquente de grands noms ayant usé du
patois dans leurs œuvres : Dante, Brunetto Latini, Pétrarque, Ronsard,
Molière, Fénelon, La Fontaine…)
"A tous les grands noms que nous venons de citer, et qui, tous, avec plus
ou moins de vivacité, se sont fait les défenseurs des patois, quels
adversaires opposer, quels dignes ennemis à mettre en bataille dans la
guerre pour ou contre nos anciens idiomes ? Hélas ! une triste armée :
la séquelle pédante des grammairiens du XVIIIème siècle, des Saumaise,
des Vaugelas, des Ménage, qui ont fait de notre langue nationale, fraîche
et vermeille, une vieille décrépite, ne parlant plus que le grec et la latin,
l'hébreu même parfois… Les patois furent honnis, bannis, et considérés tout
au plus comme "bons pour les goujats"….""
La question des patois joua un rôle important sous la Révolution. Devait-on
les interdire, ou pas ? La Constituante comprit sans doute que l'on pouvait
former une même nation et parler des langues différentes Le 14 janvier 1790,
l'Assemblée constituante, imitant l'exemple des anciens conciles, décréta
la traduction de ses lois en dialectes vulgaires, c'est-à-dire dans les
principaux patois. La Convention devait revenir sur cette décision, par
décrets : tout d'abord, il était créé un corps d'instituteurs qui iraient
apprendre le français dans les campagne. D'autre part, la langue française
devenait obligatoire dans tous les actes ; tout fonctionnaire ne respectant
pas cela serait puni d'emprisonnement. Mais il fallu se rendre à l'évidence :
ce dernier décret ne put être tenu, et un additif autorisa de noter en
marge le terme patois pour que tous comprennent.
Ce fut la conscription qui porta le coup de grâce aux divers patois de France.
Les levées en masse de la Révolution introduisirent plus sûrement le
français dans les moindres villages, français appris sous les drapeaux,
par des conscrits qui n'avaient pas d'autre choix s'ils voulaient se
comprendre entre eux.
Au cours du XVIIIeme siècle, l'opinion se passionna pour les études
historiques. Peu à peu, on découvrit des trésors cachés au fond des
campagnes, trésors le plus souvent oraux. Au début du siècle, le Comte
de Maurepas fit rechercher toutes les pièces poétiques des campagnes d
e notre pays, les faisant transcrire sur le papier. Il réunit ainsi
une somme considérable de textes qui ont disparu par la suite. Mais
l'élan était donné. Bonaparte n'emmena-t-il pas une kyrielle de savants
en tous genres durant la campagne d'Egypte ? Un peu partout, des lettrés,
des érudits, médecins ou hommes de robe, mirent par écrit des pièces inédites
de leur région. Certains écrivirent même des contes et des poèmes, voire
des chansonnettes, en patois.. L'effort se poursuivit au XIXeme siècle.
Après un fléchissement au milieu de notre siècle, nombre de chercheurs
actuels s'efforcent de conserver ce patrimoine irremplaçable, en
multipliant les enregistrements d'anciens parlant encore les dialectes
locaux.
Les patois bressan, bugiste et dombiste appartenait au domaine du
Franco-provençal. Quelques chercheurs ont fait la distinction entre
le patois bressan, plutôt de langue d'oïl, et les patois bugiste et
dombiste, plutôt de langue d'oc.
Disons simplement que chacun d'entre eux a subi l'influence de langues
extérieures. La région n'était pas française au moment des "grandes manœuvres"
anti-patois dont nous avons parlé plus haut. Tout le nivellement d'avant
1601 ne concerna pas la Bresse et le Bugey. Et il fut plus difficile de
gommer les dialectes par la suite. De nos jours, les anciens parlent encore
le patois entre eux, que ce soit dans les repas de famille, ou quand ils
se rendent au marché, sinon aux Glorieuses de la Volaille. On doit toutefois
préciser que beaucoup de mots ont été peu à peu francisés, subissant en cela
les influences de l'école, de la caserne, des journaux, des voyages. Le
véritable vieux patois a pratiquement disparu.
"Quels sont les gens qui en Bresse désignent encore une omelette par
le mot "pêlo" ? Tout le monde dit "n'eumeleta", qui est le mot "omelette"
patoisé." (Denis Bressan)
"Des différents travaux parus dans ce journal
("La Revue des Patois", fin du XIXeme siècle, imprimé à Lyon),
et exécutés avec la méthode scientifique la plus rigoureuse, il résulte
que le patois bressan est fortement apparenté aux dialectes du Rhône, de
l'Isère, des Deux Savoies et même de la Loire. Il appartient à la
grande famille du roman de France. C'est un amalgame de celtique,
d'allemand, de latin, d'italien et de français, et qui représente
l'esquisse historique des peuples qui dominèrent successivement
notre pays. Chacun de ces peuples lui a donc laissé une empreinte
de son langage." ( Paul Carru )
D'une manière générale, le patois bressan est moins évolué que le français
traditionnel. Il est dérivé en grande parie du latin, tout comme l'italien,
qui ont obligatoirement exercé des influences. On trouve d'ailleurs des
mots ou des consonances semblables entre ces langages. L'influence du
celtique est importante et presque intacte en Bresse, où les verbes à
l'infinitif se terminent en " ô ", alors qu'ils se terminent en " â "
dans le Bugey : amô // amâ.
Quand il s'agit d'exprimer des choses touchant aux préoccupations
des campagnards, comme par exemple l'état du ciel, le patois est plus
précis que le français. Nous ne donnerons qu'un seul exemple : celui
de la "pluie" et des différentes manières de l'exprimer (d'après une
étude de Paul Carru) :
LA PLOUZE ( la pluie )
(na) goutaya - (une) pluie peu importante et à gouttes largement espacées.
(na) plouzouno - (une) pluie insignifiante.
(na) chabro - (une) petite pluie de courte durée.
(na) ramecha - (une) grosse pluie de courte durée.
(n') avercha - (une) pluie plus grosse que la ramecha.
(n') élavo - (une) pluie très forte et d'une durée suffisamment longue pour provoquer une crue.
(n') elevaizeou - (une) pluie en trmbe qui creuse le sol et provoque des inondations emportant tout.
(na) fouyatô - (une) pluie très forte, projetée par un grand vent.
(na) radô - (une) pluie en averse.
Mais le problème avec les patois de nos régions, est qu'ils n'ont pas de
règles d'écriture. Il n'existe pas de littérature en patois bressan,
il n'existe pas de littérature en patois bugiste, comme il en existe
pour le provençal, le corse ou le breton (ce sont là de véritables
langues régionales). C'est une des raisons qui fait qu'il est pratiquement
impossible d'enseigner le patois de l'Ain dans les écoles. L'autre raison
est qu'il diffère d'un village à l'autre.
"Au reste, on aurait tort de croire qu'il n'y a qu'un patois bressan ; il
y a au contraire une infinité de patois de la Bresse, qui varient de village
à village et quelquefois même de maison à maison, suivant les alliances qui
s'y sont opérées, sinon quant à leur vocabulaire, du moins quant à leur
prononciation.
"Ainsi, à Pont d'Ain, aux confins de la Bresse et du Bugey, on a le parler
sonore en "a" (ex : "U y alla vou ?" Où allez-vous ?).
A 10 kilomètres au nord, à Saint-Martin du Mont, la tonique "a"
s'assourdit et se transforme en "o" doux, comme dans le français "or"
(ex : "U y allo-vous ,"). Enfin, si l'on remonte à 10 ou 20 kilomètres
plus au nord, c'est-à-dire dans toute la région avoisinant Bourg, cette
tonique devient un "o" dur, comme dans le mot français "fantôme"
(ex : "U y allô-vou ?")" ( Paul Carru )
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